Schopenhauer, quis est ?
Pour l'homme cultivé - je m'honorerais d'être de la confrérie si l'on voulait bien ratifier mon bulletin d'adhésion -, pour l'homme cultivé, donc, Monsieur Schopenhauer est une énigme. Quand a-t-il vécu ? D'où vient-il ? Qu'a t-il fait d'illustre pour que la postérité honore son patronyme ? Si, en effet, l'on ne saurait contester à mon avis les mérites de l'inoubliable Georges-Edouard Dupont, ni ceux de ce monument de génie que représente pour les siècles passés et à venir Manuel-Antonin Machin, si Monsieur Spinoza, l'élu des plus hautes sphères intellectuelles du pays constitue à juste titre une valeur sûre de la pensée universelle, rien de tel pour Monsieur Schopenhauer, que pouïc, nada !
Schopenhauer ! Si l'on crie ce nom, cela sonne comme le coup de fouet du cocher de fiacre. Enfin, cela sonnait...Mais de ce nom, crénom de nom, l'on ne se rappelle que du nom. Moi le premier, sans doute par une forme de coupable négligence durant mes cours de philosophie. A moins que ce ne soit du fait de mes absences en cours de musique, mais j'en doute.
Alors, réparons s'il se doit cet oubli, cet outrage à la culture, rendons justice à Monsieur Schopenhauer, Arthur de son prénom, en piochant dans les livres quelques éléments de sa biographie. Et copions chez les copistes quelques une de ces citations les plus fameuses.
Daniel Confland
Zoom sur Arthur Schopenhauer
Contrairement à cette introduction irrévérencieuse, l'on doit beaucoup à Arthur Schopenhauer (1788-1860) , philosophe de son état et allemand de naissance. Notre homme naît dans un milieu commerçant fort aisé, ce qui lui permettra de vivre de ses rentes -une fois passé l'épisode malheureux de l'enseignement à l'université - pour développer son œuvre philosophique.
Les premières consolidations de sa pensée philosophique, après des études commerciales et un début de carrière dans ce domaine, conduisent Arthur Schopenhauer à éditer en 1819 son œuvre majeure : "Le monde comme volonté et comme représentation." C'est un échec, et une incompréhension des idées développées, ce d'autant qu'il critique fortement le philosophe à succès du moment, à savoir Hegel, qu'il n'hésite pas à traiter de charlatan à la pensée creuse et au verbiage plat ! Notre jeune homme passe sa thèse et sollicite une charge d'enseignement à l'université de Berlin, ...où Hegel officie aussi comme Professeur. Seulement, la salle de cours d'Hegel est bondée d'étudiants, celle de Schopenhauer presque vide. Après quelques mois, Schopenhauer renonce pour se consacrer pleinement à l'approfondissement de sa pensée.
La philosophie de Schopenhauer est imprégnée à des titres de divers de celle d'illustres prédécesseurs comme Platon et Kant. Mais elle puise également ses sources dans le bouddhiste et l'hindouisme -qu'il fera connaître en Allemagne-, avec la métaphysique, le mysticisme et l'ascèse en arrière-plan.
L'œuvre de Schopenhauer est difficile à résumer en quelques lignes. Disons en forme de postulat que pour lui Dieu n'existe pas et que les religions ne sont qu'illusion. Le rôle moteur de l'univers et de l'humanité se concentre en une force vitale, la Volonté (dénommée aussi "chose en soi"). Son "objectif" ? Le "vouloir vivre", c'est à dire la vie qui veut survivre et se poursuivre avec acharnement. La volonté de l'homme-individu ne compte que pour presque rien, et apparaît absurde et dérisoire face à cette Volonté "essentielle". Tous les phénomènes, la diversité, l'individualité, la perception de la nature et des objets ne sont que des représentations qui ne valent que par celui qui les perçoit. Schopenhauer distingue les représentations "intuitives", qui fournissent au sujet les sensations et les affections (douleur, plaisir, etc.), des représentations abstraites, les concepts, qui sont les produits de l'intellect humain (sa raison).
Toutes ces considérations débouchent sur un pessimisme foncier. L'homme n'accède pas à la réalité des choses mais seulement à leur représentation illusoire. Face à la Volonté "naturelle" et "essentielle", il n'est qu'une sorte de jouet appelé à souffrir, sans connaître le bonheur, à ressasser frustrations et insatisfactions. Le monde représenté est mauvais et l'homme inspiré par le diable. Schopenhauer ouvre cependant une petite fenêtre : le vrai monde peut être partiellement intelligible à l'homme s'il se force au renoncement, à la quête intérieure, à l'ascèse. Alors seulement pourra-t-il approcher, même de loin, ce qui unit son être à cette Volonté qui autrement le dépasse.
Dans la dernière partie de sa vie, ce pessimiste invétéré, qui vit reclus en incarnant la cause des solitaires qu'il défend dans ses écrits, a cependant quelques raisons, sinon de se réjouir, du moins d'être moins chagrin : on comprend enfin ses oeuvres en Europe et on les apprécie. Mieux, une partie des créateurs de cette fin du XIXème siècle et du XXème siècle reconnaissent l'influence de Schopenhauer sur leur travail : citons Flaubert, Maupassant, Nietzche, Wagner, Dostoïevski, Bergson ou encore, plus près de nous, Michel Houellebecq.
DC
Notes :
- Une seconde édition de l'ouvrage "Le monde comme volonté et comme représentation paraîtra en 1849.
- En 1849, paraît également "Les deux problèmes fondamentaux de la l'éthique". En 1851, suit "Parerga et Paralipomena" (suppléments et omissions).
Sources de la présentation :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arthur_Schopenhauer
https://1000-idees-de-culture-generale.fr/volonte-schopenhauer/
https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2003/07/25/schopenhauer-l-incompris_328871_3208.html
https://www.evolution-101.com/pensees-sur-la-philosophie/
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30 citations du philosophe méconnu puis reconnu...
- La volonté, comme chose en soi, constitue l’essence intime, vraie et indestructible de l’homme ; mais en elle-même elle est sans conscience. Car la conscience est déterminée par l’intellect qui n’est qu’un simple accident de notre essence : l’intellect est en effet une fonction du cerveau, et celui-ci avec les nerfs ambiants et la moelle épinière n’est qu’un fruit, qu’un produit, je dirai même un parasite du reste de l’organisme, puisqu’il ne s’engrène pas directement dans les rouages intimes de cet organisme et ne sert à la conservation du moi que parce qu’il en règle les rapports avec le monde extérieur.
- Tout ce qui existe, existe pour la pensée, c’est-à-dire, l’univers entier n’est objet qu’à l’égard du sujet, perception que par rapport à un esprit percevant, en un mot, il est pure représentation
- Toute ma philosophie peut se résumer dans cette expression : le monde est l'auto-connaissance de la volonté.
- Le monde visible n'est que le miroir de la volonté.
- Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence.
- Cette vieille erreur, qu'il y a de parfaitement vrai que ce qui est prouvé, et que toute vérité repose sur une preuve, quand, au contraire, toute preuve s'appuie sur une vérité indémontrée.
- Maintenant, pour revenir au sérieux, je présente ce livre au public avec la ferme conviction que tôt ou tard il rencontrera ceux pour qui seuls il est fait ; au surplus, je me repose tranquillement sur cette pensée qu’il aura lui aussi la destinée réservée à toute vérité, à quelque ordre de savoir qu’elle se rapporte, et fût-ce au plus important : pour elle un triomphe d’un instant sépare seul le long espace de temps où elle fut taxée de paradoxe, de celui où elle sera rabaissée au rang des banalités. Quant à l’inventeur, le plus souvent il ne voit de ces trois époques que la première ; mais qu’importe ? Si l’existence humaine est courte, la vérité a les bras longs et la vie dure ; disons donc la vérité.
(Préface du livre de Schopenhauer "Le Monde comme volonté et comme représentation.")
- Le monde dans lequel chacun vit dépend de la façon de le concevoir.
- Le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété ; le but était illusoire ; la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin ; sinon, c'est le dégoût, le vide, l'ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin.
- Qu'est-ce en fin de compte que la vie ? Un flux perpétuel de la matière, à travers une forme qui demeure invariable; de même l'individu passe et l'espèce ne passe pas.
- Tout aspire et s'efforce à l'existence, et si possible à l'existence organique, c'est-à-dire la vie, et, une fois éclose, à son plus grand essor possible.
- La vie et les rêves sont les feuillets d'un livre unique.
- Il semble que le bon Dieu ait créé le monde au profit du diable: il aurait mieux fait de s'abstenir.
- Il n'y a qu'une erreur innée : c'est celle qui consiste à croire que nous existons pour être heureux.
- Une vie heureuse est une contradiction dans les termes.
- Le médecin voit l'homme dans toute sa faiblesse; le juriste, dans toute sa méchanceté; le théologien dans toute sa sottise.
- Ni aimer ni haïr comprend la moitié de toute sagesse ; ne rien dire et ne rien croire voilà l'autre moi, voilà l'autre moitié.
- L'homme est un animal métaphysique.
- L'homme est le seul animal qui en fait souffrir d'autres sans autre but que celui-là.
- La solitude offre à l'homme intellectuellement haut placé un double avantage : le premier, d'être avec soi-même, et le second de n'être pas avec les autres.
- Les lettrés sont ceux qui ont lu dans les livres ; mais les penseurs, les génies, les flambeaux de l'humanité et les pionniers de la race humaine sont ceux qui ont lu directement dans le livre de l'univers.
- Le médecin voit l'homme dans toute sa faiblesse; le juriste, dans toute sa méchanceté; le théologien dans toute sa sottise.
- Ce n'est plus souvent que la perte des choses qui en enseigne la valeur.
- L'art reproduit les idées éternelles qu'il a conçues par le moyen de la contemplation pure, c'est à dire l'essentiel et le permanent de tous les phénomènes du monde.
- La modestie chez les gens médiocres est simplement de l'honnêteté; chez les gens brillamment doués, est est de l'hypocrisie.
- Les amis de la maison sont ordinairement bien nommés de ce nom, car ils sont plus attachés à la maison qu'au maître ; ils ressemblent aux chats plus qu'au chien.
- Le fou court après les plaisirs de la vie et trouve la déception ; le sage évite les maux.
- L'Etat n'est que la muselière dont le but est de rendre inoffensive cette bête carnassière, l'homme, et de faire en sorte qu'il ait l'aspect d'un herbivore.
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