- Les vieillards et les oiseaux affrontent chaque année le même problème : passer l'hiver.
(Sacha Guitry)
- L'hiver est la saison-clef : elle ouvre à la vie la porte du printemps.
(Anonyme)
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Poèmes choisis
Il a neigé
Il a neigé
Il a neigé la veille et, tout le jour, il gèle.
Le toit, les ornements de fer et la margelle
Du puits, le haut des murs, les balcons, le vieux banc
Sont comme ouatés, et, dans le jardin, tout est blanc.
Le grésil a figé la nature, et les branches
Sur un doux ciel perlé dressent leurs gerbes blanches.
Mais regardez. Voici le coucher de soleil.
À l'occident plus clair court un sillon vermeil,
Sa soudaine lueur féérique nous arrose,
Et les arbres d'hiver semblent de corail rose.
("Promenades et Intérieurs")
Croquis de janvier
Tout est dur, clair, sans voix, et mort ;
l'hiver est fermé comme un livre.
On dirait que la vie a tort
de vouloir encor vivre.
Le fleuve est pris ; le ciel si bas
pèse sur les étendues blanches...
Un oiseau pourtant chantera
en avril, dans les branches.
("Avec des mots")
Frisson (*)
Un brouillard épais noie
L'horizon où tournoie
Un nuage blafard,
Et le soleil s'efface,
Pâle comme la face
D'une vieille sans fard.
La haute cheminée,
Sombre et chaperonnée
D'un tourbillon fumeux,
Comme un mât de navire,
De sa pointe déchire
Le bord du ciel brumeux.
Sur un ton monotone
La bise hurle et tonne
Dans le corridor noir :
C'est l'hiver, c'est décembre,
Il faut garder la chambre
Du matin jusqu'au soir.
Les fleurs de la gelée
Sur la vitre étoilée
Courent en rameaux blancs,
Et mon chat qui grelotte,
Se ramasse en pelote
Près des tisons croulants.
(* Extrait du recueil "Intérieurs" dans "Premières poésies")
Pâle soleil d'hiver
Pâle soleil d'hiver, tu filtres du ciel gris
Un rayon souffreteux qui fait plus triste encore
La cité s'éveillant dans sa rumeur sonore ;
Et c'est sous ce jour faux que tu veux voir Paris.
Tu songes à ces temps où, pur de son mépris,
L'homme ignorait le spleen, ce mal qui nous dévore,
Jouissait d'un beau vers, du galbe d'une amphore,
Et vivait sans remords sous l'azur incompris.
Tu te dis, n'est-ce pas, que la Terre, ta fille,
Nourrit en ce moment une pauvre famille ?
Et qu'elle a fait son temps ? - Mais, ne sois pas si fier !
Devant l'Éternité, tu n'es qu'une fusée
Qui passe. Et tu mourras, ô vieille lampe usée,
Soleil jaune et poussif, pâle soleil d'hiver.
("Le sanglot de la terre")
Nuit de neige
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.
Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes.
L'hiver s'est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l'horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.
La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.
Et froids tombent sur nous les rayons qu'elle darde,
Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant ;
Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur œil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.
("Des vers")
L'hiver
C'est l'hiver sans parfums ni chants ...
Dans le pré, des brins de verdure
Percent de leurs jets fléchissants
La neige étincelante et dure ...
Quelques buissons gardent encor
Des feuilles dures et cassantes
Que le vent âpre et rude mord
Comme font les chèvres grimpantes.
Et les arbres silencieux
Que toute cette neige isole
Ont cessé de se faire entre eux
Leurs confidences bénévoles ...
Bois feuillus qui, pendant l'été,
Au chaud des feuilles cotonneuses,
Avez connu les voluptés
Et les cris des huppes chanteuses,
Vous qui, dans la douce saison,
Respiriez la senteur des gommes,
Vous frissonnez à l'horizon
Avec des gestes qu'ont les hommes.
Vous êtes las, vous êtes nus,
Plus rien dans l'air ne vous protège,
Et vos cœurs, tendres ou chenus,
Se désespèrent sous la neige.
Et près de vous, frère orgueilleux,
Le sapin où le soleil brille
Balance les fruits écailleux
Qui luisent entre ses aiguilles ...
("Le Coeur innombrable")
Yver, vous n'estes qu'un villain
Yver, vous n’estes qu’un villain,
Esté est plaisant et gentil,
En témoing de may et d’avril
Qui l’accompaignent soir et main. (*)
Esté revet champs, bois et fleurs,
De sa livrée de verdure
Et de maintes autres couleurs,
Par l’ordonnance de Nature.
Mais vous, Yver, trop estes plein
De nège, vent, pluye et grézil.
On vous deust banir en éxil.
Sans point flater, je parle plain,
Yver, vous n’estes qu’un villain.
(*matin)
("Rondeaux")
Paysage de neige
Au dedans, le silence et la paix sont profonds ;
De froides pesanteurs descendent des plafonds,
Et, miroirs blanchissants, des parois colossales
Cernent de marbre nu l'isolement des salles.
De loin en loin, et dans les dalles enchâssé,
Un bassin de porphyre au rebord verglacé
Courbe sa profondeur polie, où l'onde gèle ;
Le froid durcissement a poussé la margelle,
Et le porphyre en plus d un endroit est fendu ;
Un jet d'eau qui montait n'est point redescendu,
Roseau de diamant dont la cime évasée
Suspend une immobile ombelle de rosée.
Dans la vasque, pourtant, des fleurs, givre à demi,
Semblent les rêves frais du cristal endormi
Et sèment d'orbes blancs sa lucide surface,
Lotus de neige éclos sur un étang de glace,
Lys étranges, dans l'âme éveillant l'idéal
D'on ne sait quel printemps farouche et boréal.
(passage de "La Vision suprême" dans le recueil "Hespérus")
Chanson pour les enfants l'hiver
Dans la nuit de l'hiver
Galope un grand homme blanc
C'est un bonhomme de neige
Avec une pipe en bois,
Un grand bonhomme de neige
Poursuivi par le froid.
Il arrive au village.
Voyant de la lumière
Le voilà rassuré.
Dans une petite maison
Il entre sans frapper ;
Et pour se réchauffer,
S'assoit sur le poêle rouge,
Et d'un coup disparaît.
Ne laissant que sa pipe
Au milieu d'une flaque d'eau,
Ne laissant que sa pipe,
Et puis son vieux chapeau.
("Histoires")
Ce poème a fait l'objet d'une chanson interprétée notamment pas Les Frères Jacques, sur une musique de Joseph Kosma.
Calme intérieur (1889-1960)
Tout est calme
Pendant l'hiver
Au soir quand la lampe s'allume
À travers la fenêtre où on la voit courir
Sur le tapis des mains qui dansent
Une ombre au plafond se balance
On parle plus bas pour finir
Au jardin les arbres sont morts
Le feu brille
Et quelqu'un s'endort
Des lumières contre le mur
Sur la terre une feuille glisse
La nuit c'est le nouveau décor
Des drames sans témoin qui se passent dehors.
("Plupart du temps")
Première gelée
Voici venir l'Hiver, tueur des pauvres gens.
Voici venir l'Hiver dans son manteau de glace.
Place au Roi qui s'avance en grondant, place, place !
Et la bise, à grands coups de fouet sur les mollets,
Fait courir le gamin. Le vent dans les collets
Des messieurs boutonnés fourre des cents d'épingles.
Les chiens au bout du dos semblent traîner des tringles.
Et les femmes, sentant des petits doigts fripons
Grimper sournoisement sous leurs derniers jupons,
Se cognent les genoux pour mieux serrer les cuisses.
Les maisons dans le ciel fument comme des Suisses.
Près des chenets joyeux les messieurs en chapeau
Vont s'asseoir ; la chaleur leur détendra la peau.
Les femmes, relevant leurs jupes à mi-jambe,
Pour garantir leur teint de la bûche qui flambe
Étendront leurs deux mains longues aux doigts rosés,
Qu'un tendre amant fera mollir sous les baisers.
Heureux ceux-là qu'attend la bonne chambre chaude !
Mais le gamin qui court, mais le vieux chien qui rôde,
Mais les gueux, les petits, le tas des indigents...
Voici venir l'Hiver, tueur des pauvres gens.
(Dernière partie du poème, recueil "La chanson des gueux")
Blow, blow, thou Winter Wind
Blow, blow, thou winter wind
Thou art not so unkindAs man's ingratitude;
Thy tooth is not so keen,
Because thou art not seen,
Although thy breath be rude.
Heigh-ho! sing, heigh-ho! unto the green holly:
Most friendship if feigning, most loving mere folly:
Then heigh-ho, the holly!
This life is most jolly.
Freeze, freeze thou bitter sky, That does not bite so nigh
As benefits forgot:Though thou the waters warp,
Thy sting is not so sharp
As a friend remembered not.
Heigh-ho! sing, heigh-ho! unto the green holly:
Most friendship if feigning, most loving mere folly:
Then heigh-ho, the holly!
This life is most jolly.
(Extrait de "Comme il vous plaira", acte 2, scène 7)
Ci-dessous la traduction française de François Pierre Guillaume Guizot :
Souffle, souffle vent d'hiver;
Tu n'es pas si cruelQue l'ingratitude de l'homme.
Ta dent n'est pas si pénétrante,
Car tu es invisibleQuoique ton souffle soit rude
Hé! ho! chante; hé! ho! dans le houx vert;
La plupart des amis sont des hypocrites et la plupart des amants des fous
Allons ho! hé! le houx!
Cette vie est joviale.
Gèle, gèle, ciel rigoureux,
Ta morsure est moins cruelle
Que celle d'un bienfait oublié.
Quoique tu enchaînes les eaux,
Ton aiguillon n'est pas si acéré
Que celui de l'oubli d'un ami.
Hé! ho! chante, etc., etc.
Source :
Ce poème a fréquemment été mis en musique, en particulier par John Rutter (https://youtu.be/-T8xQoLs9rU)
Winter-time
Late lies the wintry sun a-bed,
A frosty, fiery sleepy-head ;
Blinks but an hour or two ; and then,
A blood-red orange, sets again.
Before the stars have left the skies,
At morning in the dark I rise ;
And shivering in my nakedness,
By the cold candle, bathe and dress.
Close by the jolly fire I sit
To warm my frozen bones a bit ;
Or with a reindeer-sled, explore
The colder countries round the door.
When to go out, my nurse doth wrap
Me in my conforter and cap :
The cold wind burns my face, and blows
Its frostry pepper up my nose.
Black are my steps on silver sod ;
Thick blows my frostry breath abroad ;
And tree and house, and hill and lake,
Are frosted like a wedding-cake.
Ci-dessous la traduction française de Jean-Pierre Naugrette ( "Jardin de poèmes enfantins") :
Hiver
Soleil d'hiver fait grasse matinée
De marmotte gelée malgré le rougoiement ;
Clignote une heure ou deux seulement,
Et puis, orange de sang, va se coucher.
Avant qu'étoiles ont disparu du ciel,
Le matin dans le noir je suis levé ;
Et frissonnant avec ma nudité,
Me lave, me vêts au froid de la chandelle.
Je prends ma place près du bon feu
Pour dégeler mes os un peu ;
Ou bien j'explore dans un traîneau
Plus froides contrées près du linteau.
Pour sortir, ma nurse elle emmitoufle
Ma personne, de cagoule et cache-nez :
La bise me brûle la face, et souffle
Son poivre de gel jusqu'à mon nez.
Noirs sont mes pas sur la terre cristalline ;
Drue mon haleine gelée dans les parages ;
Arbre et maison, lac et colline,
Glacés gâteaux de mariage.
Source :
La neige
La neige tombe, indiscontinûment,
Comme une lente et longue et pauvre laine,
Parmi la morne et longue et pauvre plaine,
Froide d'amour, chaude de haine.
La neige tombe, infiniment,
Comme un moment -
Monotone - dans un moment ;
La neige choit, la neige tombe,
Monotone, sur les maisons
Et les granges et leurs cloisons ;
La neige tombe et tombe
Myriadaire, au cimetière, au creux des tombes.
Le tablier des mauvaises saisons,
Violemment, là-haut, est dénoué ;
Le tablier des maux est secoué
A coups de vent, sur les hameaux des horizons.
Le gel descend, au fond des os,
Et la misère, au fond des clos,
La neige et la misère, au fond des âmes ;
La neige lourde et diaphane,
Au fond des âtres froids et des âmes sans flamme,
Qui se fanent, dans les cabanes.
Aux carrefours des chemins tors,
Les villages sont seuls, comme la mort ;
Les grands arbres, cristallisés de gel,
Au long de leur cortège par la neige,
Entrecroisent leurs branchages de sel.
Les vieux moulins, où la mousse blanche s'agrège,
Apparaissent, comme des pièges,
Tout à coup droits, sur une butte ;
En bas, les toits et les auvents
Dans la bourrasque, à contre vent,
Depuis Novembre, luttent ;
Tandis qu' infiniment la neige lourde et pleine
Choit, par la morne et longue et pauvre plaine.
Ainsi s'en va la neige au loin,
En chaque sente, en chaque coin,
Toujours la neige et son suaire,
La neige pâle et inféconde,
En folles loques vagabondes,
Par à travers l'hiver illimité monde.
("Les villages illusoires")
Quand par le dur hiver
Quand par le dur hiver tristement ramenée
La neige aux longs flocons tombe, et blanchit le toit,
Laissez geindre du temps la face enchifrenée.
Par nos nombreux fagots, rendez-moi l'âtre étroit !
Par le rêveur oisif, la douce après-dînée !
Les pieds sur les chenets, il songe, il rêve, il croit
Au bonheur ! il ne veut devant sa cheminée
Qu'un voltaire* bien doux, pouvant railler le froid !
Il tisonne son feu du bout de sa pincette ;
La flamme s'élargit, comme une étoile jette
L'étincelle que l'œil dans l'ombre fixe et suit ;
Il lui semble alors voir les astres du soir poindre ;
L'illusion redouble ; heureux ! il pense joindre
À la chaleur du jour le charme de la nuit !
(*) un voltaire : un fauteuil
("Poésies inédites")
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Sources générales sur le thème :
http://lieucommun.canalblog.com/archives/une_saison_en_poesie___hiver/index.html
https://www.poetica.fr/categories/hiver/
https://www.poesie-francaise.fr/poemes-hiver/
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