Mots-clefs : esquisse, art, croquis, ébauche, brouillon, maquette, D. Confland.
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L'esquisse dans l'art : brouillon talentueux ou prémisse du génie ?
Quoi de plus admirable que l’esquisse. Qu’il s’agisse d’un dessin, d’une sculpture, d’un texte, d’un bout rimé, ou bien d’un sourire, d’un geste, d’une phrase. L’esquisse, c’est le mouvement, le subtil, le sensible, le flou -forcément artistique-, l’incertain ou l’indécis. Etymologiquement, c’est le jaillissement. Rien n’y est figé et s’ouvre grand en elle le champ des possibles.
On dit que l’esquisse exprime l’intention. C’est vrai et insuffisant à la fois. Certes l’esquisse infère un projet, une préparation à sa réalisation, un premier jet, un premier mouvement. Mais, ce faisant, chaque acte esquissé s’accomplit dans la spontanéité du moment, exprime une envie davantage qu’une volonté et procure l’occasion à l’auteur de donner libre cours à sa liberté de faire et d’être.
Si, dans l’esquisse, l’idée est encore indécise, le geste, lui, n’est pas imprécis. Car rien de malhabile dans l’esquisse comme on pourrait le croire, y compris s’il s’agit justement d’un geste. L’artiste comme le cerveau connaissent leur technique. Mais comme ils ne savent vraiment pas jusqu'où la première intention les mène, ils cheminent sans but encore affiché. L’esquisse, et il s’agit d’une évidence dans le domaine artistique, c’est aussi de mettre le savoir faire au service de l’esprit qui travaille.
Bien que jugé synonyme par les lexicographes, l’esquisse n’est vraiment pas un brouillon. D’abord le mot brouillon est trivial, sent son bas étage dans le langage. Dire que le brouillon sert ensuite à « mettre au propre » suffit à clouer définitivement le terme au pilori vocabulairique.
L’amorce, elle, s’entend comme un point de départ, un commencement dont les prochaines étapes sont attendues. Mais contrairement à l’esquisse, l’amorce n’est ni exploratoire ni narrative, et encore moins interprétative. Ne voyez cependant dans cette appréciation qu’une …amorce d’analyse.
Il y a bien l’ébauche pour prétendre jouer les équivalents. Larousse la désigne comme l’œuvre même au premier stade de son exécution. Bref, déjà de l’Art. Pourquoi pas, en effet. Mais, on ne sait trop pour quelle raison, le mot induit aussi un je ne sais quoi de besogneux et rime d’ailleurs avec « gauche ». L’ébauche voudrait se contenter de dégrossir qu’elle ne s’y prendrait pas autrement ! Qui ne voit d’ailleurs derrière l’ébauche d’un sourire, l’émission funeste d’un « pauvre sourire », qui jamais ne s’épanouira dans la franche gaîté, alors que l’esquisse d’un sourire laisse à la suite de l’évènement toute sa part de mystère.
Mais alors, rien de définitif dans l’esquisse ? Nul achèvement en perspective ? Pas sûr ! Au plan artistique, on a souvent nié qu’une esquisse puisse être une œuvre à part entière. Exécution « à grands traits » tranche-t-on à son propos. N’en déplaise pourtant à tous ces dédaigneux du dictionnaire, corsetés dans leurs définitions péremptoires, quoi de plus beau que l’esquisse d’un corps ou d’un paysage. Âmes sensibles ne pas s’abstenir ! Quoi de plus excitant pour l’imagination qu’un geste de la main hésitant dans l’amplitude, en lévitation, puis retombant, relique d’un dessein avorté mais bigrement signifiant. Chaque esquisse n’est-elle pas alors une « œuvre » en soi ? On s’extasie au reste dans les expositions, à l’égal des œuvres achevées, devant les esquisses de Raphaël, de Vinci, de Dürer, de Rembrandt ou de Fragonard. Si les collectionneurs ont fait leur miel des esquisses et les galeristes un commerce lucratif, il ne faut pas oublier que les grands peintres ou les grands sculpteurs n’ont pas jeté toutes leurs esquisses aux poubelles de l’Histoire de l’Art : sinon, comment expliquer qu’elles nous soient parvenues en si grand nombre !
En fait, l’esquisse est un moment d’exception, une pièce unique, même lorsqu’elle s’inscrit dans une série à tiroirs préparant une œuvre déterminée. Quant à l’esquisse d’un roman, dont la facture finale pourrait bien s’avérer médiocre, elle débouche souvent sur une nouvelle, dont le lecteur se plaira à louer le génie littéraire.
Allons ! Tout bien considéré, l’esquisse, dans l’art comme dans la quotidienneté de nos actes, est la vie qui jaillit, se pose comme l’oiseau avant le nouvel envol, puis s’accomplit dans d’autres métamorphoses. Et cela suffit largement à nous bouleverser !
Daniel Confland
Image : Autoportrait, Dürer, 1493, Wikipédia CC.
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François Boucher, l'une des 8 esquisses de la Tenture chinoise, ensemble de modèles pour des tapisseries de la Manufacture de Beauvais, Musée des Beaux-Arts de Besançon.
Source : https://utpictura18.univ-amu.fr/Presentation.php
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Ci-dessus :
- à gauche : Rembrandt : Ange empêchant Abraham de sacrifier son fils, Isaac : dessin considéré comme préparatoire à la peinture ci-dessous, British Muséum, Wikipédia CC.
- à droite : Le sacrifice d'Abraham, Musée de l'Ermitage, Wikipédia CC.
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Vu sur Pinterest, portrait de femme napolitaine par Fragonard, Morgan Library and Museum, enregistré par François Sierzputowski.
Projet initial de la Maison du Directeur de la Saline royale d'Arc et Senans, par Claude Nicolas Ledoux.
Au XVIIIème siècle, à Arc et Senans, Claude Nicolas Ledoux conçoit l'une des plus grandes salines d'Europe, pour y extraire le sel de sources souterraines, et y loger les ouvriers.
http://passerelles.bnf.fr/batiments/saline_planche.php
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Voir l'article sur le site de la BNF :
https://gallica.bnf.fr/html/und/partitions/ludwig-van-beethoven
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