Ne faudrait-il pas sonder les sondages ?
Le Larousse nous en donne une définition en ce qui concerne les enquêtes d'opinion :
Enquête statistique dont le but est de connaître, à un moment donné, la manière dont se répartissent les opinions individuelles à propos d'une question donnée. (On dit aussi sondage d'opinion.) (*)
De nos jours, on interroge nos contemporains à peu près sur tout et n'importe quoi. Les sondages prolifèrent et les bénéfices des instituts spécialisés s'accroissent. Du fait de l'instantanéité médiatique, le bon peuple et ses élites veulent tout savoir à l'instant T, notamment en politique. Le problème est qu'une tendance, une photographie d'aujourd'hui soient assimilées à la vérité de demain, et qu'elles influencent plus ou moins consciemment le choix, le vote.
Les contempteurs des sondages se font déjà l'écho de cette possible déviance. Mais sous réserve que les citoyens exercent leur esprit critique et ne confondent pas sondage et prévision, encore moins sondage et prédiction, les enquêtes d'opinion ont leur utilité en fournissant un éclairage et un cheminement des idées, notamment si on les mène dans un cadre périodique avec le même corpus de questions.
Mais les mêmes adversaires ou d'autres invoquent un autre motif : celui des méthodologies de questionnement. On les dit souvent biaisées, utilisant des formes syntaxiques dont découleront des réponses plus volontiers positives ou négatives, utilisant des empilements de questions suscitant à l'arrivée chez les sondés un acquiescement artificiel, en particulier lors d'enquêtes téléphoniques, etc. De surcroît, les méthodes d'enquête laisseraient de côté, parfois, des options possibles dans les questions posées, ce qui conduirait en définitive à orienter les réponses.
Les instituts de sondages "sérieux", pallieraient en partie ces critiques - je n'entrerai pas pas dans les détails -, en reformulant par exemple les questions à diverses reprises au cours de l'enquête, de façon à maintenir l'attention du sondé et à lui permettre d'en analyser le sens pour répondre avec plus de justesse.
Le sociologue Pierre Bourdieu (**), sans remettre en cause l'utilité et même l'ensemble de la mécanique statistique des sondages, en dénonce de tels biais techniques. Il va pourtant beaucoup plus loin, en refusant le concept même d'opinion publique, qui, selon lui, au sens où l'entendent les sondeurs, n'existe pas en tant que corps homogène : les questionnés n'ont pas entre autres les mêmes intérêts, les mêmes niveaux d'insertion et de référentiels sociaux, n'ont pas des accès identiques à la culture et à l'éducation, ne subissent pas de la même façon les influences des groupes de pression. Et ceci même dans un échantillon spécifié : par activité, centre d'intérêt, tendance politique, etc. Dès lors, s'ajoutant aux biais de formulation, certaines réponses aux sondages ne seraient que des artefacts de la réalité objective.
Pour ma part, j'avoue m'intéresser aux sondages, et même en être un consommateur régulier. Dans le domaine politique, j'y suis même assidu. Tout en m'efforçant à la critique. Sans doute, faudrait-il user des sondages à l'instar de l'alcool : avec modération. Mais la pression est forte, car dans un monde complexe, qui change seconde après seconde, l'individu cherche par tous les moyens à s'approprier une parcelle de compréhension.
A chacun, donc, de juger et d'user au mieux, et de faire ses choix au jour dit, et non par anticipation, au gré des "échantillons" dans lesquels on pourrait altérer votre jugement.
D'autant que de façon subreptice, les géants des GAFAM collectent à tour de bras nos données personnelles, qu'ils sont capables d'organiser en séries statistiques collectives. C'est sans doute de là que vient le danger primordial et notre devoir de vigilance.
A rapporter à la citation de l' économiste Jonathan Conning : "Rien n'est aussi trompeur que les faits, si ce n'est les chiffres." Et Albert Jacquard de compléter : "La lucidité est le point de départ de la sagesse." Voilà une boîte à outils critique qui peut servir...
Daniel Confland
Mots-clefs : sondage enquête questionnaire sondage d'opinion panel citations.
Sources :
(*) https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/sondage/73445
(**) https://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/questions/opinionpub.html
Autres :
https://www.hacking-social.com/2014/06/23/sondages-statistiques-chiffres-ne-plus-se-faire-avoir/
https://www.hacking-social.com/2014/06/23/sondages-statistiques-chiffres-ne-plus-se-faire-avoir/
°°°
20 citations d'auteurs sur les sondages
- Le sondage est le jeu de mots des chiffres.
(Albert Brie)
- Musset aujourd’hui n’écrirait plus "A quoi rêvent les jeunes filles ", il consulterait les sondages.
(Jean Amadou)
- Les sondages, c’est comme la minijupe : ça fait rêver, mais ça cache l’essentiel.
(Alexandre Sanguinetti)
- Les dirigeants ne sont pas responsables des sondages d'opinion, mais des conséquences de leurs actions.
(Henry Kissinger)
- Les sondages me font penser aux cours d'eau : ils sont le reflet de notre société.
(Olivier Blanchette)
- Le sondage est devenu une sorte de réalité supérieure; ou pour le dire autrement, il est devenu la vérité.
(Milan Kundera)
- Un sondage n'est pas un substitut à la réflexion.
(Warren Buffet)
- Les citoyens sont si souvent sondés qu'ils en ont perdu leur opinion.
(Jean Baudrillard)
- Semaine épouvantable : pas un seul sondage d’opinion. Tant pis nous essaierons de deviner nous-mêmes nos propres intentions.
(André Frossard)
- Mais si on fonctionne au sondage, c'est le serpent qui se mord la queue, on tournera en rond, on proposera toujours aux gens ce qui leur plaît déjà. C'est l'ennui assuré.
(Bernard Werber)
- L'un de nos problèmes est l'uniformisation. Il n'y a plus de débats d'idées. Les gens suivent les sondages et le Top 50. Les jeunes ne sont pas assez fous !
(Robert Charlebois)
- Par définition les sondages ne se trompent jamais, car ils n'ont pas vocation à prédire.
(Laurence Parisot)
- Les sondages ne votent pas, ce sont les gens qui votent.
(Hillary Clinton)
"Si les critiques ont raison de dire que j'ai pris toutes mes décisions en fonction des sondages, alors je ne dois pas être très doué pour les lire." (Barack Obama)
- Sondage A : 92 % de Français s'estiment heureux. Sondage B : 2 millions d'analphabètes en France. A mon avis, dans les 92 %, il y en a qui ne connaissent pas leur malheur.
(Guy Bedos)
- Selon les sondages, les Français consomment cinquante huit rouleaux annuels de papier hygiénique par tête. Qu'est-ce qu'ils entendent par tête ?
(Frédéric Dard)
- Pour les Premiers ministres, en général, les sondages sont très utiles au début de leur mandat et ne servent à rien à la fin.
(Jean-Pierre Raffarin)
- 0% pour un fromage c'est bon pour la santé, mais pas pour un sondage présidentiel.
(Jean-Christophe Lagarde)
“A la question : faites vous encore confiance aux instituts de sondage ? 64% des Français répondent non. Et 59% répondent oui.” (Philippe Geluck)
°°°