Ces figures de style qui sortent de l'ordinaire..
Elles ont des noms bizarres, parfois guère prononçables pour des palais francophones. Ne vous en étonnez pas car elles sont pour la plupart de racine grecque. Ce sont des figures de style, comme il en existe bien d'autres. (*) Peut être, tels ceux qui font de la prose sans le savoir, les avez-vous utilisées ingénument dans votre propre babil ! Ou bien alors que vous êtes particulièrement savants sur le sujet !
Les figures de style sont autant de procédés d'écriture ou d'oralité où l'auteur s'écarte du langage ordinaire pour susciter une meilleure expressivité, une émotion plus forte, une conviction plus affirmée, etc. Les figures de style ont à l'origine partie liée avec l'art du discours, la rhétorique, où il s'agit d'argumenter, de séduire, puis de persuader.
Certains auteurs assimilent les deux familles de "figures", mais les premières jouent davantage un rôle de "décorum" du langage et dans la littérature que les secondes, où "l'utilitaire strict" est le principal levier.
L'origine de cet article provient d'une lecture : celle du livre de Jean-Loup Chiflet, "J'ai encore un mot à vous dire" ; à la fin de l'ouvrage, l'auteur s'amuse, à la façon d'une énigme policière, à débusquer 12 figures de style, en fournissant des exemples d'usage pris dans la littérature. Dans l'ordre d'apparition, sont abordées successivement :
Une Aposiopèse, un Homéotéleute, une Périssologie, une Anadiplose, une Polysyndète, un Chiasme, un Hendyadis, un Polyptote, une Ecphrasis, un Anapodoton, une Anaphore, un Karemphaton.
L'auteur est d'ailleurs coutumier du sujet, puisqu'il a commis également l'ouvrage "Balade littéraire parmi les figures de style", aux Editions Mots et Cœtera (2018).
DC
- (*) https://www.lalanguefrancaise.com/litterature/figures-de-style-guide-complet/
- Références de l'ouvrage de J-L Chiflet :
É
Mots-clefs : figures de style, figures de rhétorique, grammaire, syntaxe, citations.
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L'aposiopèse
L'utilisateur, saisi par l'émotion, le doute, interrompt sa phrase, puis se reprend. On note ce "travers" chez Racine dans son "Athalie" (cf. Chifflet, op.cit.)
Je devrais sur l'autel où ma main sacrifie
Te...mais du prix qu'on m'offre il faut me contenter.
L'homéotélépeute
Jean-Loup Chifret nous rapporte qu'il sert à répéter en fin de phrase des mots dont les finales semblables sont sensibles à l'oreille.
Ansi, chez Raymond Queneau, on trouve cette description : "au delà, dans tout le reste de l'Uni-Park, il y avait cette rumeur de foule qui s'amuse et cette clameur de charlatans et tabarins qui rusent et ce grondement d'objets qui s'usent."
En encore plus sophistiqué, on hissera sur le pavois des homéotélepeutes cette phrase de notre ami Yves Boisson :
Le doux saint de Sein a ceint et oint les doux seins de la fille de Saintes enceinte ; elle s’est retrouvée en sainte. Mais Si le saint oint les seins doux de la sainte, peut-il se servir de saindoux ? Il y aurait tromperie, car du saindoux du saint doux sur des seins doux ne saurait remplacer, loin s’en faut, le saint oint, si loin qu’on s’en souvienne ! Dès lors que dirait saint Ouen ?
On ne s'en lasse pas !
La périssologie
Déclarée proche du pléonasme et de la redondance. L'auteur, pour un effet de style généralement superfétatoire, se laisse aller à la répétition. Un exemple avec Daudet (cf. Chiflet, op.cit) :
Alors, tout naïvement, sans y entendre malice, dans cette salle à manger de presbytère, si candide et si calme...
Plus cursif et moderne, on notera dans le genre l'usage immodéré du : Merci à vous : à qui d'autre s'adresser quand on parle à un interlocuteur ou qu'on lui écrit nommément ?
L'anadiplose
Procédé qui consiste à répéter le dernier mot d'une proposition pour enchaîner avec ce mot dans la proposition suivante. Exemple :
L'absence, c'est Dieu. Dieu, c'est la solitude des hommes. (Sartre)
On parlera de concaténation lorsque que la répétition se multiplie ; le procédé est fréquent dans la bible, telle la généalogie suivante :
Abraham engendra Isaac, Isaac engendra Jacob, Jacob engendra Juda et ses frères. (Matthieu)
A l'oral, l'anadiplose dans sa version concaténée donne de la force au propos. A l'écrit, il procure une tonalité emphatique.
Source commune aux exemples :
https://www.laculturegenerale.com/anadiplose-definition-exemples/ | La culture générale
La polysyndète
J.L Chiflet (op.cit.) soupçonne la personne qui se livre à cette figure d'être atteinte d'un Alzeimer ! En répétant un mot, notamment une conjonction, on est mieux assuré de se souvenir dans la phrase (ou dans une suite de phrases) de ce qui précède, tandis qu'on aborde ce qui suit ! Exemple pris chez Victor Segalen :
Tu es riche et lourd, et suave et frais, pourtant.
Le Chiasme
Le chiasme est une figure de style qui consiste en un croisement d'éléments dans une phrase ou dans un ensemble de phrases sur un modèle AB/BA et qui a pour effet de donner du rythme à une phrase ou d'établir des parallèles. Le chiasme peut aussi souligner l'union de deux réalités ou renforcer une antithèse dans une phrase."
Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Chiasme
Voici deux exemples d'usage du chiasme :
- Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger. (Molière, Chiflet, op.cit.)
- Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas qu'elles sont difficiles. (Sénèque)
Le hendiadys
Il consiste à dissocier les membres d'une phrase, dont les mots seraient sans cela directement concentrés, pour en "étirer" le sens, et donc en quelque sorte en dédoubler la portée. Exemples :
J'ai connu cet homme et sa probité. (Henri Morier). Au lieu de : "J'ai connu la probité de cet homme"
Cf. https://fr.wikipedia.org/wiki/Hendiadys
Respirer l'air du lac et sa fraîcheur. (Rousseau)
Plus évocateur que "Respirer la fraîcheur de l'air du lac" (Chiflet, op.cit.)
L'Hendiasys est l'une des composantes habituelles de la syntaxe latine. La langue anglaise lui est également bien adaptée.
Le polyptote
"Un polyptote est une figure de répétition qui consiste à utiliser un même mot ou des mots de même origine sous diverses variations grammaticales (genre, nombre, nature...) ou de conjugaison."
Cf. https://fr.wiktionary.org/wiki/polyptote
Ce site et J.L Chiflet (op.cit) donnent un exemple de cette figure de style, dans lequel Eugène Scribe expose comment des gens d'un même monde se font une réputation :
Rien de plus facile : je me prône, tu te prônes, il se prône, nous nous prônons, la Famille du baron.
Autre exemple, chez Flaubert et Madame Bovary (Chiflet, op.cit) :
Ce n'était qu'amours, amants, amantes.
Cf. http://acceslitteraire.e-monsite.com/pages/stylistique/figures-de-construction/polyptote.html.
Enfin, ce dernier exemple nous paraît assez conforme au procédé, sans que l'on ait eu conscience en écrivant cette pensée poétique, et à notre grande honte, qu'elle contenait un polyptote !
L'Ecphrasis (ou Ekphrasis)
Peu de choses à en dire puisque cette figure de style désigne en fait une description approfondie d'une œuvre d'art (peinture, sculpture...). Probablement, tous les critiques d'art font-ils des Ecphrasis sans savoir que c'est là l'expression de leur talent, l'origine de leur gagne-pain, et la source d'innombrables critiques (le plus souvent) sur le caractère conservateur ou au contraire avant-gardiste de leur travail, à moins qu'on n'en dénonce la navrante nullité !
L'anapodoton
Sur un plan syntaxique, il s'explique de façon savante, mais nous vous en ferons grâce. Il s'agit plus simplement d'un procédé de rupture ou de discontinuité introduit dans le discours : la phrase est incomplète, l'objet en cause n'est pas expressément fourni, soit parce que la pensée est plus rapide que le discours, soit parce que le locuteur préfère suggérer les choses, les laisser en suspens en mode implicite. Deux exemples :
- Si vous pensez que je vais m'asseoir ici et prendre vos insultes... (Si c'est ce que vous pensez vraiment, alors vous vous trompez !)
Cf. https://en.wikipedia.org/wiki/Anapodoton
- A Nice, il fait beau, Paris peut bien attendre...(Sous-entendu, il pleut sûrement à Paris) (anonyme)
L'anaphore
C'est la figure de style sans conteste la plus connue. Il y a quelques années, en 2012, elle a fait parler d'elle avec l'envolée télévisuelle d'un candidat à la Présidence de la République. Retour en arrière :
Moi président de la République, je ne serai pas le chef de la majorité, je ne recevrai pas les parlementaires de la majorité de l'Elysée,
Moi président de la République, je ne traiterai pas mon Premier ministre de collaborateur;
Moi président de la République, je ne participerai pas à des collectes de fonds pour mon propre parti dans un hôtel parisien...
On compta 15 énoncés démarrés semblablement ! Plus renommée et passablement antérieure dans le Guiness des anaphores, on connaît et on reconnaît la tirade de Camille dans le Horace de Corneille, après la mort de son amoureux Curiace :
Rome, l'unique objet de mon ressentiment ! Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant ! Rome qui t'a vu naître et que ton coeur adore ! Rome enfin que je hais, parce qu'elle t'honore !
Le Kakemphaton
Il entretient une grande proximité avec le calembour. J.L Chiflet (op.cit) en donne un exemple éloquent :
J'en sortirai du camp, mais quel que soit mon sort, j'aurai montré du moins comme un vieillard en sort ! (Adolphe Dumas)
Tous les lycéens ont par ailleurs fait leur miel en récitant :
Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle /
Et le désir s'accroît quand l'effet se recule. (Corneille)
Un petit dernier pris parmi les bons mots d'Auguste Derrière :
On n'a jamais vu un camion si terne.
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