13 avril : jour anniversaire de la mort de Jean de la Fontaine en 1695. L'occasion de célébrer, non son œuvre de fabuliste, mais celle du conteur licencieux et grivois, parmi d'autres adjectifs. "Je me sers d'animaux pour instruire les hommes " a dit le grand homme pour expliquer ses fables. Il aurait tout aussi pu dire qu'il se servait des hommes et des femmes pour exalter la volupté et exciter la sensualité dans leurs rapports intimes.
Jean de La Fontaine (1621-1695), est certainement moins connu pour ses contes que pour ses fables, La Fontaine a pourtant toute sa vie mené les deux carrières de front : conteur et fabuliste. Car c'est même d'abord par les contes qu'il s'est rendu célèbre, contes réputés licencieux, grivois, érotiques ou libertins, au choix. La Fontaine puise son inspiration chez Boccace et dans les "Cent nouvelles nouvelles" (1) Ce genre de conte versifié (et de nouvelle), empreint de gauloiserie, fait partie par tradition de la littérature française. Mais le succès de La Fontaine tient sûrement à la manière : il évoque, masque l'arrière plan du sujet, tourne autour du pot, utilise des pirouettes langagières, si bien que ce qu'il raconte, tout en restant toujours élégant dans la forme, titille agréablement la sensualité latente des lecteurs. Deux recueils de contes et nouvelles paraissent en 1665 et 1666. Par la suite, d'autres contes lestes seront publiés à intervalles régulier,s le plus souvent en complément des fables. Mais au fil du temps, le génie du fabuliste finira par éclipser le talent du conteur.
DC
(1) "Les Cent nouvelles nouvelles sont un recueil de nouvelles commandé par le duc de Bourgogne Philippe le Bon qui en est le dédicataire et le reçoit en 1462. C'est le premier recueil moderne de contes de la littérature française. De la main d'un rédacteur unique, il présente cent histoires d'inspiration très libre, d'allure très gauloise, qui sont autant d'attaques lancées contre les femmes et les religieux ; elles sont présentées par trente-six conteurs, tous personnages historiques membres de la cour du roi."
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cent_nouvelles_nouvelles
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Où La Fontaine explicite sa philosophie des plaisirs amoureux.
L'on rapporte que le fabuliste ne dédaignait pas fréquenter les cabarets et les bordels. Jusqu'à s'afficher un temps comme libertin. L'épigramme qui suit donne corps à cette réputation.
Aimons, baisons.
Jean de La Fontaine
Epigramme (1650)
Aimons, baisons, ce sont plaisirs
Qu’il ne faut pas que l’on sépare ;
La jouissance et les désirs
Sont ce que l’âme a de plus rare.
D’un vit, d’un con, et de deux cœurs
Naît un accord plein de douceurs,
Que les dévots blâment sans cause.
Amarillis, pensez y bien :
Aimer sans baiser est peu de chose,
Baiser sans aimer ce n’est rien.
Source : https://epigramme.fr/la-fontaine-jean/aimons-baisons
En illustration, deux contes grivois
tirés des "Contes et nouvelles en vers par Monsieur de La Fontaine, A Amsterdam chez Pierre Bruner; 1709."
Sœur Jeanne
Sœur Jeanne ayant fait un poupon,
Jeûnait, vivait en sainte fille;
Etait toujours en oraison;
Et toujours ses soeurs à la grille.
Un jour donc l'abesse leur dit :
Vivez comme soeur Jeanne vit,
Fuyez le monde et sa séquelle.
Toutes reprirent à l'instant :
Nous serons aussi sage qu'elle,
Quand nous en auront fait autant.
Promettre est un et tenir est un autre
Jean amoureux de la jeune Perette,
Ayant en vain auprès d'elle employé,
Soupirs, serments, doux jargon d'amourette,
Sans que jamais rien lui fût octroyé,
Pour la fléchir, s'avisa de lui dire,
En lui montrant de ses mains les dix doigts,
Qu'il lui pourrait prouver autant de fois,
Qu'en fait d'amour il était un grand sire.
De tels signaux parlent éloquemment, Vu
Et pour toucher ont souvent plus de force,
Que soins, soupirs, et que tendres serments.
Perette aussi se prit à cette amorce.
Déjà ses regards sont plus doux mille fois,
Plus de fierté, l'amour a pris sa place.
Tout est changé jusqu'au son de sa voix.
On souffre jean, voire même on l'agace,
On lui sourit, on le pince parfois,
Et le galant voyant l'heure venue,
L'heure aux amants tant seulement connue,
Ne perds point de temps, prend quelques menus droits,
Va plus avant, et si bien s'insinue,
Qu'il acquitta le premier de ses doigts,
Passe au second, au tiers, au quatrième,
Reprend haleine, et fournit le cinquième.
Mais qui pourrait aller toujours de même !
Plus moi hélas ; quoique d'âge à cela,
Jean non plus, car il en resta là.
Perette donc en son conte trompée,
Si toutefois c'est tromper que ceci,
Car j'en connais maintes très haut huppée
Qui voudrait bien être trompée ainsi ;
Perette, dis-je, abusée en son conte,
Et ne pouvant rien de plus obtenir,
Se plaint à Jean, lui dit que c'est grand honte
D'avoir promis, et de ne pas tenir.
Mais à cela notre trompeur Apôtre,
De son travail suffisamment content,
Sans s'émouvoir répond en la quittant,
Promettre est un et tenir est un autre.
Avec le temps je m'acquitterais des dix,
En attendant, Perette, adieu je vous dis.
Parmi les sources et références :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Contes_et_nouvelles_en_vers
http://www.lafontaine.net/lesContes/listeContes.php
http://www.micheloud.com/fxm/Lafontaine/soeur.htm
https://editions.flammarion.com/contes-libertins/9782290082775
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A consulter dans la foulée sur le blog :
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