Le scalp du fier iroquois : fable
Daniel Confland
La bataille avait été sanglante. Elle avait opposé deux tribus iroquoises voisines, distantes seulement de deux lieues, à la pointe du lac Huron dans la région des Grands Lacs. A l'origine, la dispute portait sur la délimitation d'un simple champ de haricots, et puis elle avait dégénéré, une insulte en amenant une autre. jusqu'au déclenchement de la guerre.
Cinquante hommes étaient restés sur le carreau. Les vainqueurs avaient prélevé des scalps sur les morts,. Leur crâne sanguinolent portait les stigmates humiliants de la crête de cheveux qu'on avait prélevée.
Une troupe de la tribu triomphante s'était approchée, guerriers, femmes et enfants confondus. Leurs sarcasmes fusaient, notamment à l'égard des agonisants et des blessés dont les râles s'élevaient vers le ciel.
Un guerrier ennemi suscitait en particulier les quolibets : ses vêtements, plus raffinés que ceux des autres gisants, étaient visiblement ceux d'un chef. Quand il tenta de se redresser, en une sorte de bravade, tout en lui symbolisait la fierté : le port de tête, la mâchoire volontaire, le regard pénétrant, et la cambrure du dos.
Un peu à l'écart du vacarme, le Conseil de la tribu s'était assemblé. Il fallait décider du sort des blessés. Pour les simples guerriers ennemis, leur destin était évidemment scellé : on devait les achever et prendre leur scalp. Il en allait différemment pour le chef. Fallait-il le tuer lui aussi, ou tenter de le sauver grâce aux potions et onguents des guérisseurs ? Il constituerait alors un gage si la tribu adverse décidait à terme de déclencher un guerre revancharde. Mais lui ôter la vie et le cuir chevelu présentait un énorme avantage au regard des croyances religieuses : mort et scalpé, le chef ne pourrait être emmené au paradis par le Grand Esprit, sans sa chevelure qui permettrait de le tirer jusque là. Privé de sa crête altière, il resterait à jamais dans l'errance céleste, conférant une sorte de puissance surnaturelle aux vainqueurs.
A moins que ses cheveux repoussent dans l'au-delà, allez savoir, mais là c'était pure spéculation ! Allons, il fallait décider. On vota à mains levées et un verdict de mort fut unanimement proclamé. Le Conseil fit venir le plus brave de ses guerriers pour exécuter la sentence.
Pendant ce temps le chef, qui observait la scène, n'avait rien perdu de sa superbe malgré ses rictus de souffrance : il toisait fièrement ses adversaires dans une ultime bravade. C'en était trop d'arrogance, A la mort et à la scalpation, le Conseil ajouta l'humiliation. On appela un à un les membres de la tribu pour qu'ils bastonnent le pauvre mort déplumé. On rit beaucoup et le plus sage des membres du Conseil eut cette formule ironique, traduite approximativement de l'iroquois : "Il faut battre le Fier tant qu'il est chauve !"
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Amérindien Mohawk, membre de l'une des 6 tribus iroquoises. Source : https://www.peuplesamerindiens.com/pages/amerindiens-du-canada/les-iroquois.html
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