L'homme et les groupes qui font société ensemble se sont par nature et par envie toujours efforcé de capter des avantages pour eux-mêmes ou leurs parentèles au sens large. En s'affranchissant des règles communes qui ne reconnaissent censément que le talent et le mérite. Le piston, le népotisme au sens générique, le favoritisme, le passe-droit, le coup de pouce, le clientélisme et autre copinage ont donc toujours existé, quels que soient les mots utilisés pour décrire le phénomène. Pas de problème, si l'on ose dire, dans les régimes autocratiques et despotiques : ils secrètent des affidés, des obligés, des privilèges, en un mot des nomenklatura et des oligarchies que renforcent une corruption consubstantielle et généralisée. En démocratie, la société et les individus qui la composent sont en théorie reliés par un pacte composé d'un principe, l'égalité, et par un moteur, l'ascenseur social. Mais outre que le pacte social fait forcément montre de carences ou de pannes par rapport aux attentes, il est des individus et/ou des groupes qui veulent que leur partition singulière avance plus vite que celle de la musique générale. D'où les petits ou grands arrangements de tous ordres qu'énumère la typologie ci-dessus.
On notera, au plan collectif, les affectations et partages entre amis de marchés publics, les monopoles syndicaux à l'embauche, les réservations et cooptations d'emplois dans les entreprises, etc. On évoque aussi à l'envi la reproduction des élites, par favoritisme de caste sociale, ou parce qu'elles possèdent les codes, les réseaux et les adresses qui permettent à leurs héritiers de se pousser du col sans avoir vraiment besoin de faire un effort.
Au plan individuel, Prévert ne serait d'aucun secours pour tenir une liste exhaustive des emplois obtenus indument par piston et des promotions aussi rapides que suspectes dues au favoritisme. Et ce à tous les niveaux de l'échelle sociale et des branches économiques : un petit chef bien placé fera l'affaire pour pistonner le neveu, tandis que les fils de et fille de...,dans les grands groupes, remplaceront père ou mère à leur tête le jour venu, ou feront des carrières météoritiques sans que leur compétence soit pleinement avérée, Même chose dans le show-business, paraît-il, ou un terme est en train de faire florès aux Etats-Unis : celui de Nepo-babies, les enfants du népotisme. On ne saurait pour autant attribuer à ce milieu l'exclusivité de la fameuse et peu enviable promotion-canapé.
En tout cas, le pistonné, lui, est content de sa position, comme le petit cheval blanc de Brassens l'était de la sienne : "C'est alors qu'il était content/Tous derrière et lui devant" ! Car il pense sûrement mériter sa chance, alors qu'il confond chance et mérite. Il devra au contraire redoubler d'efforts pour faire ses preuves et combler cette entorse à la morale.
Daniel Confland
°°°
- Qu'un intellectuel soviétique arrive à placer son fils à l'université tout de suite après l'école, et sans aucun piston, c'est bien plus impressionnant qu'un lieutenant corse qui devient empereur de France. (Alexandre Zinoviev)
- La légion d'honneur ? A partir d'un certain âge, il faut disposer d'un sacré piston pour ne pas l'avoir. (Frédéric Dard)
- L'homme, en bon simien, est un animal social, et ce qui prime en lui c'est le copinage, le népotisme, le piston et le commérage comme mesure intrinsèque du comportement éthique. (Carlos Ruiz Zafon)
- Théorème du pistonné : "Tout protégé de la Direction plongé dans une entreprise subit une poussée de bas en haut au moins égale au volume d'incompétence déplacé." (Bruno Masure)
- Avec des pistons à gogo, la voiture du riche va vite et loin. Avec du piston à foison, l'héritier va loin et vite en doublant les gogos. (Daniel Confland)
- Les monarchies meurent du favoritisme. Les démocraties ont le leur. Il se nomme démagogie. Et elles en meurent aussi. (Jacques de Lacretelle)
- Le despotisme favorise le despote, le népotisme favorise les gènes du despote. (Danielle Tremblay)
- Népotisme : nommer sa grand-mère à un poste pour le bien du parti. (Ambrose Bierce)
- La jeunesse et le népotisme, les deux chevau-légers d'Hollywood. (Susan Dunlap)
- Donner un coup de main est tout à fait inutile à quelqu'un qui n'a besoin que d'un coup de pouce. (Sim)
- La plupart des gens rendent les petites faveurs (dont ils bénéficient), sont reconnaissants pour les faveurs moyennes, et c'est par l'ingratitude qu'ils restituent les plus grandes. (Benjamin Franklin)
- Le clientélisme est plus efficace que la loi, le vote étant devenu un rituel spectaculaire. (Spinoza)
°°°