Origine et évolution du persiflage
Le début du XVIIIème siècle : Régence, couleurs pastels, mœurs légères et badinage léger ! En tant que mot, le persiflage n'existe pas encore, mais la pratique, si ! Elisabeth Bourquinat a fait du sujet une thèse, puis un ouvrage : "Le siècle du persiflage, 1734-1789", 1998, PUF. (*)
Le mot dériverait de Persifles, héros d'une "parodie amphigourique"; la langue de Persifles, avec siffler pour étymologie, s’entendant - c’est le cas de le dire - comme un langage ampoulé et souvent parodique auxquels les petits-maîtres sacrifient dans les Salons. Selon l'auteure, le style traduit aussi une évolution littéraire qui tend à promouvoir le discours à la première personne. Elle y voit par ailleurs des critiques sous-jacentes portées envers les philosophes à qui on reproche : "la bigarrure stylistique de leurs œuvres ou diverses mystifications auxquelles ils se livrent, Voltaire particulièrement". Le persiflage s'avère dans tous les cas "intimement lié à la réflexion de tout le siècle sur l'origine, la valeur et le pouvoir du langage".
Le mot apparaît donc dès 1734. Il franchit d'ailleurs tel quel la Manche l'année suivante. Le sens ne prête pas à mal en général, il tient du badinage léger, plaisant, il enrubanne la conversation. Les tournures du persiflage sont des tournures d'esprit, mais il faut, pour assurer sa réussite, de l'esprit de méthode, aussi, pour "parler plaisamment des choses sérieuses et sérieusement des choses frivoles", comme le dit un commentateur et le rappelle Elisabeth Bourquinat. Et justement, l'air est à la frivolité, au moins parmi les couches sociales supérieures.
Progressivement aussi, le persifleur habile se doit d'entretenir le flou sur la signification véritable qu'il met dans son propos. Les auteurs postérieurs de dictionnaires le définissent ainsi : “Se livrer à un badinage d’idées ou d’expressions qui laisse du doute ou de l’embarras sur leur véritable sens"..
Pour ma part, sans prétendre le moins du monde à la vérité historique, j'aime imaginer que ce début de moquerie, de "mise en boîte ", dirions-nous de nos jours (l'expression est dans la définition de certains dictionnaires actuels) est venu assez vite. Mais l'irrévérence, l'insolence même dont le persiflage est teinté n'est pas encore porteur de ce qu'il deviendra au tournant du dernier quart du siècle. Selon la spécialiste du genre, on assiste alors à un glissement vers l'ironie, la raillerie, Le railleur se donne un air de candide pour mieux tromper - et, j'ajoute, ridiculiser - celui ou celle qui apparaît désormais comme une victime voulue comme telle et pour de mauvaises raisons, et non comme un partenaire de jeu verbal, même si celui-ci se laisse un tantinet abuser.
Le caractère d'ironie grinçante, voire de méchanceté - c'est moi qui l'infère -, est vécu en tout cas comme tel par ceux qui parlent du persiflage, qu'ils y voient un mal social ou/et qu'ils en aient été victimes. Les dictionnaires modernes privilégient en tout cas cette acception.
Daniel Confland
(*) https://www.decitre.fr/livres/le-siecle-du-persiflage-9782130492863.html
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De la critique du persiflage dans les citations
- Le persiflage, amas fatigant de paroles, volubilité de propos qui font rire les fous, scandalisent la raison, déconcerte les gens honnêtes ou timides, et rendent la société insupportable.
(Charles Pinot Duclos, in "Considérations sur les moeurs de ce siècle, 1751)
- De la joie et du coeur on perd l'heureux langage/Pour l'absurde talent d'un triste persiflage.
(Jean-Baptiste Louis Gresse)
- Bertrand (alias d'Alembert) pouvait au moins et devait s'attendre à une réponse honnete et raisonnable, et non au persiflage que vous lui transcrivez.
(D'Alembert, lettre à Voltaire)
Portrait de Jean le Rond D'Alembert par Quentin de la Tour (1753)
- Dites-moi si Racine a persiflé Boileau, si Boileau a persiflé Pascal.
(Voltaire à l’Abbé d’Olivet, à propos de la Prosodie)
-Je lui trouve de l'esprit et de la gaieté mais il est caustique et persifleur.
(Madame de Genlis, à propos du Chevalier de Celtas en 1788)
- Now go away then, and leave me alone. I don't want any more of your meritricious persiflage.
Partez à présent, laissez-moi seul. Je ne supporte plus votre fallacieux persiflage.
(D.H. Lawrence)
- L'infidèle, que pour toute vengeance il avait un peu persiflée, essaya de le fléchir, lui demandant grâce à genoux, et le suivit dans cette attitude tout le long d'une grande galerie...
(Prosper Mérimée)
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Qu'il plaise donc au lecteur que je m'érige en défenseur de l'innocente et originelle manière du persiflage ! En lui consacrant cette pensée poétique...toute personnelle et idéalisée !
Défense du persiflage d’antan
Au bon temps des Lumières naquit le persiflage
Il faut au persifleur, à croire le Littré
Nous dire plaisamment toutes choses sérieuses
Parler avec sérieux des choses les plus frivoles
On voit l’Esprit « tout court » percer sous l’Esprit Saint
On persifle aux Salons et l’on raille au boudoir
Les valets de théâtre s’emploient fort à la tâche
Quand le Haut du Pavé persiffle le Parvenu
La Roture se moque du noble impécunieux
Mais attention, s’il faut un jouet au persiflage
Une victime expiatoire, un rôle consentant
Persifler n’est pas jouer sans avoir un talent
Le persiflage vrai ne souffre point l’excès
Ne pas avoir l’air fin bien qu’usant de finesse
Aimer la dérision, maîtriser l’insolence
Bien faire l’ingénu dans un propos masquant
Du plaisant badinage le véritable sens
Sous l’éloge flatteur par subtiles antiphrases
Faire croire à l’entendeur que les couronnes sont vraies
Las, le gai persiflage s’étiole au fil du siècle
Et meurt, alors que s’ouvre une époque troublée
Il abandonne le rang à l’ironie mordante,
Sous le masque enjôleur du manipulateur
Persifleur n’a qu’un but, tourner en ridicule
Sa proie qui n’en peut mais, ébahie par le Verbe
Alors, si l’on m’en croit, il nous faut revenir
Au plaisant badinage, où le moqué n’est dupe
Qu’autant que le railleur est fort en comédie
Et souffre du raillé, quand il feint le benêt
De sortir à son tour réparties et saillies
A qui veut raviver ce persiflage-là
J’en suis, et mieux encore : je persifle… et je signe !
Daniel Confland
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