Mirabeau, son ordinaire et sa légende (1749-1791)
" Ton neveu est laid comme le fils de Satan." Ainsi parle à son frère le père d’Honoré Gabriel Riqueti, Comte de Mirabeau, du physique de son rejeton. Celui-ci est en effet affligé de plusieurs maux et difformités : un pied tordu, deux grandes dents sur le devant, une attache courte de la langue qui aurait dû nuire à la parole de celui qui deviendra le plus grand des orateurs parlementaires de son temps. La tête de "Mirabeau" est également énorme; enfin, dernière affliction, une petite vérole contractée à l’âge de trois ans lui laisse de nombreuses cicatrices sur le visage.
Dans ses primes années, le jeune Mirabeau se laisse aller à une vie dissipée et multiplie les dettes : son père, las de ses turpitudes, fait procéder à son enfermement, notamment au Château de Vincennes, où il séjournera à plusieurs reprises (et y rencontrera Sade).
Par ses premiers écrits, on sait que Mirabeau s’opposait déjà à l’absolutisme et penchait pour une monarchie constitutionnelle. Au plan sociétal, il participe à la création de la Société des Amis des Noirs qui défend l’abolition de la traite et de l’esclavage. En parallèle, cette forte tête (dans tous les sens du terme), connaît des ennuis dans sa vie matrimoniale et extra-conjugale qui lui valent plusieurs condamnations dont il réussira finalement à s’extirper lors d’un ultime procès où il se défend lui-même avec talent.
Sa vie politique comme vraiment en 1776 : par l’entremise de Talleyrand, Mirabeau obtient une mission secrète à Berlin pour le ministre des finances du roi, Calonne. En 1789, il est élu aux Etats-Généraux, représentant la Provence. Comme la noblesse ne veut pas de lui, c’est avec le Tiers Etat qu’il siègera. Ses écrits, ses refus de se plier à certaines procédures de l’Assemblée, ses prises de parole où ses dons d'orateur font merveille, le font considérer dès lors comme un activiste de la Révolution qui s’annonce.
Son acte le plus célèbre, outre sa participation à la rédaction de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, a lieu le 23 juin 1789, lors de la séance royale des Etats Généraux où le Marquis de Dreux-Brézé produit devant les députés l’ordre de dissolution de l’Assemblée constituante que vient de prendre Louis XVI. Enflammant l’auditoire par son éloquence, Mirabeau, impérieux, s’adresse au Maître des Cérémonies du roi en ces termes : "Je vous déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes." La popularité de Mirabeau est alors considérable parmi le peuple.
Mais loin de devenir le révolutionnaire attendu, Mirabeau se rapproche de la famille royale en secret, entretient une correspondance avec elle, prodigue des conseils au roi en faveur de la mise en œuvre d’une monarchie constitutionnelle, et rencontre la reine. Pendant ce temps, notre homme continue de tenir le haut du pavé révolutionnaire. Ce double jeu ne sera connu qu’après sa mort.
Celle-ci intervient subitement le 2 avril 1791 à Paris. Maladie ou empoisonnement, on ne sait trop. Le retentissement populaire de ce décès est énorme. L’Assemblée nationale décide le transfert en grande pompe de la dépouille de Mirabeau au Panthéon, dont il sera le premier « bénéficiaire »
Ce n’est qu’en septembre 1794 qu’on découvrira avec stupeur la correspondance secrète de Mirabeau avec la Cour. Au Panthéon, on enlève prestement les restes de Mirabeau pour les remplacer par ceux de Marat.
Daniel Confland
Mots-clefs : Mirabeau, Révolution, 1789, Assemblée nationale, Assemblée constituante, citations.
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Honoré-Gabriel_Riqueti_de_Mirabeau
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"Mirabeau en 1786, par Joseph Boze, Château de Versailles, source photographique : art.rmngp.fr, Wikipédia CC.
"Allez dire à vôtre Maître...", l'apostrophe fort enjolivée de Mirabeau...
Les contemporains présents à l'Assemblée le fameux jour 23 juin 1789, ne rapportent aucunement le rôle majeur qu'il aurait joué, ni surtout la fameuse apostrophe à Dreux-Brézé lancée à cette occasion. A tout prendre, s'il est vrai que les députés et leur Président ont bel et bien refusé de sortir de la salle, la scène se serait déroulée sans la théâtralité que Mirabeau et la postérité lui auraient conférée par la suite.
Dès les jours suivants, c'est en effet Mirabeau lui-même qui se donne le premier rôle en prononçant la formule énoncée ci-dessus : "Je vous déclare que si l’on vous a chargé de nous faire sortir d’ici, vous devez demander des ordres pour employer la force ; car nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes." Mirabeau fait largement relayer cette version par la presse, dont le peuple s'empare avec délectation.
Mais pour que l'apostropheur soit définitvement érigé en héros révolutionnaire par les générations suivantes, il fallait enjoliver encore la formule, la rendre "marmoréenne". Les exégètes et raconteurs d'histoires postérieurs se plurent ainsi à magnifier la phrase, juqu'à la plus célèbre :
" Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes."
Il fallait bien Victor Hugo pour accréditer cette version et lui donner force de vérité historique en la commentant ainsi :
" Allez dire à votre maître…’ Votre maître ! c’est le roi de France devenu étranger. C’est toute une frontière tracée entre le trône et le peuple. C’est la révolution qui laisse échapper son cri. Personne ne l’eut osé avant Mirabeau. Il n’appartient qu’aux grands hommes de prononcer les mots décisifs des grandes époques. "
Mais les manuels d'histoire ne se mirent pourtant pas d'accord sur cette unique version puisqu'on en compterait une dizaine, dont le site 1789-1815.com fait le recensement :
" Pour éviter une énumération fastidieuse, voici l'apostrophe découpée en 4 parties avec les variantes principales pour chacune d'elles :
1 - Allez dire à ceux qui vous envoient /Allez dire à votre maître.
2 - Que nous sommes ici par la volonté du peuple.
3 - Et que nous ne quitterons nos places / Et que nous n'en sortirons / Et qu'on nous arrachera.
4 - Que par la puissance des baïonnettes / Que par la force des baïonnettes/ Que sous la pression des baïonnettes."
Le plus fort de l'histoire, si l'on peut dire, est que Mirabeau, dans son propre énoncé pourtant tout à sa gloire, ne parle à aucun moment de la "volonté du peuple", pourtant l'ingrédient primordial de la Révolution.
DC
Sources :
- https://www.1789-1815.com/mirabeau_baionnettes.htm
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Burin gravé en 1889 par Alphonse Lamotte d'après le bas-relief de Jules Dalou : Mirabeau répondant à Dreux-Brézé, scan par9jules9; Vikidia CC.
Mirabeau, l'observateur et l'analyste de la Révolution et de la société
- Quand on se mêle de diriger une révolution, la difficulté n’est pas de la faire aller, mais de la retenir.
- L’histoire n’a trop souvent raconté les actions que de bêtes féroces parmi lesquelles on distingue de loin en loin des héros. Il nous est permis d’espérer que nous commençons l’histoire des hommes, celle de frères nés pour se rendre mutuellement heureux.
Mirabeau et ses œillères mysogines
Il ne faut jamais oublier de remettre l'histoire dans sa chronologie, ses contextes différents des nôtres et plus encore dans ses contradictions. On a vu Mirabeau participer activement au mouvement pour l'émancipation des Noirs réduits en esclavage. Mais l'émancipation des femmes hors du gynécée ne lui apparaît pas fondamentalement nécessaire. Qu'on en juge :
- Ma chérie, tu es toute aimable, toute charmante, toute adorée; mais vois-tu, tu serais-là à mes côtés, je verrais ton doux et beau sourire qui m'enivre d'amour, et ce tendre regard qui appelle si fort mes baisers, tu m'en offrirais sans compte et sans mesure, tu me prodiguerais tous les dons de ta tendresse, que je te dirais : Ma douce et belle, donnes-en-moi encore et toujours, tu es l'âme de mon âme.
- Les courtes absences animent l'amour, mais les longues le font mourir.
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