Adolphe Thiers (1797-1877) est un homme politique français. Il a été député, ministre, puis Chef de l'Etat et du Gouvernement après la chute du Second Empire et pendant la Commune de Paris qu'il réprime dans le sang, et enfin Président de la République (31 août 1871 - 24 mai 1873).
Jean Rostand (1894-1977, fils d'Edmond, à qui l'on doit l'inoubliable Cyrano de Bergerac, et de la poétesse Rosemonde Gérard, a lui aussi connu la célébrité comme biologiste, écrivain et historien des sciences. Jean Rostand a été Académicien Français.
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"Ni la contradiction n'est marque de fausseté, ni l'incontradiction n'est marque de vérité." (Blaise Pascal)
Comme je l'ai dit souvent, en matière de citations tout peut être fonction du contexte. Si l'on ne le connaît pas, ce qui est le cas ci-dessus en ce qui nous concerne, l'interprétation que nous faisons de la phrase en question peut en réalité diverger de la pensée initiale de l'auteur, même si ce type de formulation "raccourcie" a pour fonction de servir d'appui à notre propre argumentaire dans un texte, un discours ou un débat. Si les citations, sans parler des apocryphes sont donc importantes et nécessaires, il ne faut pas les prendre pour argent comptant. Au contraire, les aphorismes, sentences, maximes et autres apophtegmes sont l'émanation directe de la pensée de leur auteur. Une cristallisation en peu de mots. Peu importe que l'auteur se laisse aller à des jeux de mots, à des formules familières ou argotiques pour "habiller" sa pensée : le sens est là, du début à la fin.
Il est d'ailleurs facile de réconcilier ces deux domaines d'expression, en disant que bien des citations deviennent des proverbes, des dictons, des maximes, des morales au sens où y recourait conclusivement dans ses fables notre bon La Fontaine.
Mais revenons aux citations ci-dessus et d'abord à celle de Thiers :"Il faut tout prendre au sérieux, mais rien au tragique." Tout dénote en effet dans ses portraits le côté sérieux, voire austère de l'homme, qui exerçait sérieusement ses devoirs d'Etat.. Qu'il ne faille rien prendre au tragique est plus étonnant. A moins que Thiers manifeste par là une vrais nostalgie d'une enfance qui fut passablement dissipée; A peine marié par exemple et père d'un enfant à Marseille, il plante tout de go sa famille pour monter à Paris accompagné de deux sœurs italiennes dont il aura des enfants avec chacune. Qui plus est "sa figure ingrate, sa conversation négligée, son laisser-aller incorrect et spirituel ne le faisait pas prendre au sérieux autant qu'on l'aurait dû faire. (Charles de Rémusat). Mais Thiers est doué pour l'art oratoire et un polémiste talentueux et c'est là dessus qu'il assoit sa carrière politique. Celle-ci, fort longue, confrontée aux suites malheureuse de la Révolution et des deux Empires, aux affres de la défaite militaire et au bain de sang de la Commune, aurait dû lui donner le sens du tragique, puisque l'Histoire, en tout état de cause, est tragique. Il faudrait donc voir dans la seconde partie de cette citation plus une pirouette de style qu'une vraie conviction.
"Cette vie qu'on ne peut pas prendre au sérieux et qu'il faut parfois prendre au tragique." : cette formule de Jean Rostand contredit celle de Thiers. Mais que faut-il entendre par là ? L'homme est un savant et un écrivain sérieux, renommé, auréolé de multiples distinctions savantes et littéraires. Quand ce solitaire dit qu'il ne faut pas prendre la vie au sérieux, c'est sans doute que l'observation minutieuse de la nature et des hommes - Rostand est aussi un moraliste reconnu - lui enseignent la fragilité et la fugacité des êtres et des milieux. Il aurait pu sans doute faire sienne la formule du roi du reggae Bob Marley : "Pourquoi prendre la vie au sérieux puisque, de toute façon, on n'en sortira pas vivant ?" Si la condition humaine est de ce fait tragique en soi, la tragédie est présente partout dans le monde, au quotidien. C'est l'autre facette de Rostand, un humaniste et un pacifiste, qui dénonce inlassablement les injustices, les atteintes aux droits de l'homme et à la condition féminine. Ce savant s'élève aussi contre les dérives de la Science : "La science a fait de nous des dieux, avant même que nous méritions d'être des hommes." Mais si Rostand ne veut prendre que "parfois" cette vie humaine au tragique, c'est qu'il croit foncièrement au progrès et qu'il a, somme toute, foi en l'homme.