La postérité, outre celle qui fait le lien entre les générations, est la garantie présumée pour les bénéficiaires de demeurer dans la mémoire des hommes. En théorie, elle caractériserait la renommée surplombante, le prestige, la gloire au sommet, la grandeur au pinacle. De "hauts faits", en fait, ou d'inégalables vertus. En d'autres lieux, on pourrait graver sur le fronton du Panthéon : "Aux Grands hommes (et Femmes) la postérité reconnaissante", si on voulait donner une portée universelle à ceux et celles qui ont fait oeuvre singulière, qui parlent et parleront à tous et en tous temps.
La postérité, d'ailleurs, n'est pas seulement le fait de noms prestigieux. Elle reconnaît aussi des groupes de pensée ou des courants artistiques, comme les poètes de la Pléiade, le Fauvisme en peinture, ou le Surréalisme pour ne prendre que quelques exemples en France. Si tous leurs membres ne sont pas restés en égale renommée à l'aune du temps, au moins leurs descendants peuvent-ils revendiquer une part de l'héritage que leur confère la participation à un groupe auréolé.
Mais la gloire - en particulier pour les individus - est éphémère et la postérité fille volage. Célébré un temps, couronné naguère de justes lauriers tel (telle) quasiment panthéonisable peut devenir en cours de route un(e) presque pestiféré(e). Un général glorieux sur d'autres fronts mais marqué par ailleurs au fer d'une répression coloniale féroce court le risque d'être déboulonné de sa statue comme de son statut devant l'Histoire. Tel fameux peintre en son temps se trouvera ravalé plus tard au rang de médiocre faiseur de croûtes. La recherche historique révélera la vraie nature de tel homme politique porté aux nues par sa morale ou son intégrité, qui n'était en fait qu'un noceur invétéré ou un détourneur de fonds publics. Et tel abbé vénéré, ayant voué son sacerdoce aux pauvres, se retrouve récemment au ban d'infamie pour avoir oublié qu'il était prêtre et supposé irréprochable. Aucun secteur du Mérite, avec un grand M n'est à l'abri à terme de cette revue de détail et d'effectif. Et le changement de nom de nos rues sera l'un des marqueurs de cette dépréciation.
D'autant que la postérité "officielle" est en vérité peuplée en majeure partie d'inconnus pour la plupart d'entre nous. Elle figure en bonne place au croisement de nos rues, précisément, dans les livres d'histoire, dans les escaliers des mairies comme sur leurs sites web, dans les dictionnaires ainsi que sur les listes des récipiendaires des décorations, ces breloques républicaines distribuées à tout-va. La plus grande des institutions françaises, confite en postérité, l'Académie, démontre dans ses listes que la gloire n'a rien d'immortel contrairement aux prétentions de ses thuriféraires. De fait, une seule figure inconnue a mérité la postérité chez nous, c'est une entité : le soldat inconnu enterré sous l'Arc de triomphe de Paris.
Puisque que la postérité, c'est tautologique, s'inscrit dans une perspective historique, quel rapport avec la célébrité, qui paraît plus éphémère encore. Ce n'est pas en effet parce qu'un ado accrochera au mur de sa chambre le poster d'un chanteur célèbre que ce dernier passera à la postérité. En théorie la célébrité est fugace , parce qu'ancrée dans une temporalité alors que la postérité est supposée éternelle : la postérité, c'est la célébrité post-mortem. La célébrité est un legs ponctuel, la postérité un héritage. Et ceux qui, célèbres, croient travailler à leur postérité risquent fort de verser dans l'oubli.
La postérité, cela dit, est-elle juste et équitable, en plus d'être quelquefois éphémère et "réversible". Mais qu'est-ce que l'équité au regard de l'Histoire ? Au-delà de la quête de la véracité des sources et de l'éthique propre à la discipline, l'histoire est une science de l'homme et les historiens une pâte humaine. Napoléon Bonaparte a dit : "L'histoire est un ensemble de mensonges sur lesquels les hommes se sont mis d'accord." Un exemple : la postérité ne se montre-t-elle pas complaisante envers Robespierre et injuste envers Danton, dans l'examen du déroulement et des suites de la Révolution française ? Les historiens se déchirent à ce sujet. Et que dire du sort que la postérité réserve aux femmes ? On objectera que la longue prééminence des mœurs patriarcales a empêché leur exposition. Mais quand même : parmi les pionniers de l'aviation en France, on glorifie Blériot, Guynemer, Mermoz, Saint-Exupéry, mais qui rend justice aux pionnières que sont Adrienne Bolland, Hélène Boucher, Maryse Bastié ou encore Maryse Hilsz ? A part les lycées, où certains noms figurent, mais qui ensemence la mémoire des lycéens sur leurs exploits ?
Et puis, il y a l'innombrable lignée des anonymes, nous y avons fait allusion au début. Ils passent et trépassent. Non que leur vie ne vale rien. Car ils sont les maillons, les ouvriers, les passeurs du cycle des ans. "La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles est une œuvre de choix qui veut beaucoup d'amour." a dit Paul Verlaine. Que serait la postérité des illustres sans la postérité des gens simples ? Ne serait-ce que pour en rendre compte ! Mais à part les monuments aux morts, le marbre des stèles ne dit mot à leur sujet. Ce serait injuste si chacun d'entre nous ne ressentait pas le besoin de se référer à de grandes figures. Ajoutons y, malicieusement, un brin de chauvinisme : il advient parfois que la postérité ne soit que la vantardise de ceux qui peuvent se référer à de grandes figures envers ceux qui n'en n'ont pas chez eux, ou moins !
Daniel Confland
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La célébrité déchue, où l'impossible postérité.
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