La revanche d'une laide : un texte et des citations

La revanche d'une laide

Pour ses parents, Pénélope de Bellatrentin, avait été le plus beau bébé du monde jusqu’à trois mois. Après quoi, il avait bien fallu se rendre à l’évidence. Pénélope était moche. Mâchoire prognathe, joues creuses, arcades sourcilières avancées, front fuyant, tignasse rebelle, le portrait était tout sauf flatteur. A dix-huit ans, un homme lui avait plu qui n’en voulait qu’à sa vertu. Elle lui céda, pour connaître comme les autres jeunes filles une expérience sexuelle. Cela ne fut pas désagréable mais pas bouleversant non plus. A vingt ans, un autre garçon s’éprit follement d’elle. Le visage de cet homme était au masculin son exact reflet et, rien qu’à le regarder, elle était prise de nausées. Le prétendant fut promptement éconduit.

Enfant puis adolescente, on s’aperçut vite cependant que Pénélope, bien que laide, avait des qualités indéniables et largement au-dessus de la moyenne : intelligence vive, clarté d’esprit, empathie, gentillesse, bonne humeur inaltérable et humour. Dès ses études universitaires brillamment expédiées, elle se jeta dans le journalisme. Elle travailla pour plusieurs journaux et magazines et s’y fit une place et un nom. A trente ans, sa notoriété dans le milieu était affaire réglée ; à quarante, elle dirigeait un groupe de presse et d’édition dont l’actionnariat majoritaire était italien, avec une forte présence en France. Pénélope, pendant tout le temps de cette ascension, s’était faite à l’idée de ne pas fonder une famille et avait pris l’inébranlable résolution de s’épargner toute souffrance dans la vie, y compris en rapport avec ce qu’elle appelait la « dysharmonie de sa figure ».

Et vers la cinquantaine, inexplicablement si l’on songe aux effets des hormones sur les femmes à cette période de leur vie, un miracle se produisit. On ne peut le dater précisément : ce fut plutôt l’enclenchement d’un processus, aussi inattendu que merveilleux. Le visage de Pénélope s’arrondit et s’adoucit. Ses joues se comblèrent. La nature dessina des courbes nouvelles des tempes au menton, ordonnant à celui-ci de reculer et de faire jonction. Le front se bomba. Un coiffeur de quartier parvint enfin à discipliner le maquis des cheveux en quelque chose qui agrémentait le reste. Sa silhouette, qu’elle avait toujours eue mince, le resta. Si bien que sans devenir belle, Pénélope avait embelli, ce qui n’était déjà pas si mal. Elle lut ce nouvel état dans les yeux des hommes qu’elle fréquentait, et ceux qu’elle croisa à partir de ce moment ne lui renvoyèrent plus ce regard désolé que leurs semblables portaient sur elle précédemment en la rencontrant.

Aujourd’hui, à cinquante-cinq ans sonnés, elle était prête au bonheur.

Daniel Confland

Extrait de "L'École de Léningrad, l'ascension politique d'un suiviste qui s'ignore", roman, Daniel Confland, 2012, Lulu.com.

Et s'ils avaient tort !

- La beauté finit en laideur, le destin de la jeunesse est d'être flétrie, la vie n'est qu'un lent pourrissement, nous mourons chaque jour. (Frédéric Beigbeder)

- La laideur, c’est rassurant : il n’y a aucun défi à relever, il suffit de s’abandonner à sa malchance, de s’en gargariser, c’est si confortable. La beauté est une promesse : il faut pouvoir la tenir, il faut être à la hauteur. (Amélie Nothomb)

- La laideur a ceci de supérieur à la beauté qu'elle ne disparaît pas avec le temps. (Serge Gainsbourg)

- Quand on aime une femme laide, il n’y a pas de raison que cela cesse, au contraire. On l’aimera de plus en plus puisque si la beauté s’altère avec le temps, la laideur, elle, s’accentue.

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