Extrayons ces quelque vers tirés de la tragédie de Racine (Acte IV, scène IV)
Pour toute ambition, pour vertu singulière,
Il excelle à conduire un char dans la carrière,
À disputer des prix indignes de ses mains,
À se donner lui-même en spectacle aux Romains,
À venir prodiguer sa voix sur un théâtre,
À réciter des chants qu’il veut qu’on idolâtre ;
En quoi, direz-vous, sont-ils importants, et à quel titre ? Patience, Patience !
Le contexte
L'on sait que le Roi Soleil dans ses jeunes années n'aimait rien tant que de se donner publiquement en spectacle. A 12 ans, il était déjà sur scène. Même s'il aimait chanter en s'accompagnant à la guitare (il maîtrisait aussi l'épinette et le luth), c'est surtout en danse qu'il s'exprimait en virtuose. Chacun se plaît à la Cour à louer le talent royal, mais aussi sa grâce. Là où le roi se produit, c'est lors de ballets de Cour majestueux, dans des décors somptueux, parés de costumes étincelants, et organisés en machineries ingénieuses propres à frapper les yeux et les oreilles des spectateurs. Les spectacles sont exotiques, mythologiques et allégoriques. Louis XIV aime à chorégraphier et est l'auteur de pas célèbres : "l'entrechat royal". Au total, il paraîtra en personne dans vingt-sept grands ballets de Cour.
Tout à coup, en 1670, patatras, le monarque annonce son retrait définitif des spectacles auxquels il participait ! Il a 32 ans. Et il tiendra parole. Tout en continuant, il est vrai, à adorer le spectacle et les arts en général, musique, danse, théâtre, poésie. à organiser des fêtes munificentes, et à soutenir avec force les artistes.
Comment expliquer ce renoncement inopiné ?
Plusieurs raisons sont avancées. Deux politiques et deux plus triviales. Première raison politique, le roi aurait voulu se consacrer davantage à son métier de roi, le pouvoir absolu nécessitant d'incarner davantage le côté "hiératique" de la fonction. Seconde raison : les dévots. A la longue, ils se seraient émus du côté artificiel de ce roi, qui aurait du montrer davantage l'exemple en matière de rigueur morale. Et les deux autres raisons ? Il se trouve que le roi se blesse au pied en 1670 lors d'un ballet : cet épisode l'aurait alerté sur le fait que les entrechats lestes et répétés n'étaient plus...de son âge. La dernière raison tiendrait dans nos six vers de Racine. On sait (voir plus bas) que notre grand tragédien était un quasi familier de Louis XIV. Et le roi aurait pris pour lui ces vers de Britannicus -qui est joué précisément en 1670-, où Narcisse s'adresse à Néron en le mettant en garde contre, l'on dirait aujourd'hui, sa trop grande exposition au public, sa médiatisation en quelque sorte. (*) Et il aurait décidé de s'amender sur ce point.
Sans doute ces explications se conjuguent-elles, mais cette dernière est d'une belle poésie, et je l'adopte.
DC
(*) Dans "Racine, Andromaque, Britannicus, Iphigénie, Phèdre", Librairie Aristide Quillet, Notice de Présentation de Maurice Allain (1930)
Parmi les sources
https://fr.wikisource.org/wiki/Page:Racine_-_Œuvres,_Didot,_1854.djvu/159
https://plume-dhistoire.fr/louis-xiv-et-la-danse-expression-du-regne/
Cela dit, Louis XIV, a très tôt théorisé le rôle du spectacle comme instrument politique, tant par rapport à l'aristocratie, volontiers frondeuse, que par rapport au peuple. Les fêtes somptueuses constituent un moyen de montrer sa puissance et on n'aspire pas pour rien à être l'astre unique au firmament de la France et du monde ! Cette idée lui a été soufflée par Mazarin, et lui-même la transmettra en ces termes à Louis de France, dit le Grand Dauphin (1661-1711) :
"Cette société de plaisirs, qui donne aux personnes de la Cour une honnête familiarité avec nous, les touche et les charme plus qu'on ne peut dire. Les peuples, d'un autre côté, se plaisent au spectacle où, au fond, on a toujours pour but de leur plaire ; et tous nos sujets, en général, sont ravis de voir que nous aimons ce qu'ils aiment, ou à quoi ils réussissent le mieux. Par là nous tenons leur esprit et leur cœur, quelquefois plus fortement peut-être, que par les récompenses et les bienfaits ; et à l'égard des étrangers, dans un État qu'ils voient d'ailleurs florissant et bien réglé, ce qui se consume en ces dépenses qui peuvent passer pour superflues, fait sur eux une impression très avantageuse de magnificence, de puissance, de richesse et de grandeur..."
Il a en effet bénéficié constamment de la faveur royale, car ses pièces et sa personnalité séduisent le monarque. En plus des pensions, il reçoit en 1677 la charge particulièrement enviable d'historiographe du roi. En 1691, il est nommé Gentilhomme ordinaire de la Maison du Roi, ce qui lui permet d'entrer encore plus dans l'intimité du souverain. C'est le cas au château de Marly, où le roi aime à se retrouver avec son proche entourage. Une scène parlante de cette proximité : Racine faisant la lecture au roi d'une de ses pièces dans un salon, pour tromper le temps agréablement alors que le roi est malade.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Racine
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