L''opposition : "En matière de finances, le gouvernement mène une politique de gribouille !"
Mais Cékoidon, Céquidon, Gribouille ? (si, si, on écrira bientôt comme ça !) Ménageons un peu le suspense en faisant un détour par le verbe gribouiller, avec pour synonymes barbouiller, peinturlurer ou griffonner. Soit peindre, écrire, dessiner de façon hâtive, confuse, informe, peu soignée, en un mot désordonnée.
Au XVIème siècle, on trouve gargouiller comme étymologie de gribouiller, au sens du désordre de l'intestin. Et puis, le sens emprunte au néerlandais kriebelen (démanger, être agité de mouvements incontrôlés, griffonner), auquel on accole un suffixe ouille, plus agréable à entendre pour nos oreilles françaises, et tout cela finit par donner notre gribouiller d'aujourd'hui.
Et Gribouille, alors ? On y vient, on y vient. Il s'agit d'un personnage de conte populaire datant aussi du XVIème siècle, un peu niais, un brin naïf - on peut dire de lui que son jugement est en quelque sorte altéré par le désordre de sa pensée - , qui se jette dans les ennuis en s'en attirant de plus graves encore. Ainsi, Gribouille plonge dans l'eau parce ce qu'il ne veut pas se mouiller sous la pluie, ou se précipite tout entier dans le feu de peur de se brûler un peu. Pour se gausser de tels personnages, on dit par antiphrase "fin comme gribouille".
De ce conte, George Sand en tire un de sa plume en 1851, en moins de 50 pages, intitulé : "Histoire du véritable Gribouille". Ce Gribouille là est foncièrement bon et il triomphera à la fin des méchants, malgré ses agissements baroques :
"C’est Gribouille qui, des premiers, imagina de se frotter les pieds et les mains avec de la neige pour n’avoir point d’engelures. (...) Avait-il envie de dormir dans le jour, il se secouait pour se réveiller, afin de mieux dormir la nuit suivante. Avait-il peur, il chantait pour donner la peur à ceux qui la lui avaient donnée. Avait-il envie de s’amuser, il retardait jusqu’à ce qu’il eût fini son travail, afin de s’amuser d’un meilleur cœur après avoir fait sa tâche."
Décidément, Madame Aurore Dupin a le sens des formules pour dessiner un personnage !
DC
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Gribouille, à la sauce des citations
- Tout le monde comptait sur les états généraux, soit pour échapper à la taxation, soit pour garantir le paiement de la dette publique : autant de Gribouilles impatients de se jeter à l'eau de peur d'être mouillés.
(Jacques Bainville, Histoire de France)
- (La pitié) Je ne sais pourquoi on se la représente toujours un peu pleurnicheuse, un peu gribouille. (Georges Bernanos, Journal d'un curé de campagne).
- Quiconque défend la République au nom de l’autorité est un Gribouille de l’Empire. (Jules Vallès, L'insurgé)
- Il y a des malades qui se grattent et se donnent ainsi une espèce de plaisir trouble, mêlé de douleur, qu’ils payent ensuite par des douleurs plus cuisantes. De même que ceux qui toussent de tout leur cœur, ils arrivent à une espèce de fureur contre eux-mêmes. C’est une méthode de Gribouille. (Alain, Propos sur le bonheur)
- Ce même comportement magique consistant à réaliser exprès ce dont nous avons peur pour nous en délivrer - cette politique de Gribouille - peut se retrouver dans le suicide qui, à bien des égards, tire son prestige du fait qu’il nous apparaît, paradoxalement, comme le seul moyen d’échapper à la mort, en disposant librement, en la réalisant nous-même ; mais, en nous suicidant, ce n’est pas une part du feu que nous faisons, c’est tout entier que nous nous y jetons, sans rémission. (Michel Leiris, L’âge d’homme)