D'où vient le nom "bougre", le bon, le mauvais, le bougre d'âne et autre locution "bougre de""

"Bougre" vient de "bogre", désignant au XIIème siècle un hérétique, terme lui-même tiré du bas latin "bulgarus" ou bulgare. L'origine remonte au Xème siècle et à l'hérésie bogomite, qui s'est propagée en Bulgarie puis dans une grande partie des balkans, sous l'impulsion d'un prêtre, Bogomil. La doctrine est une version hétérodoxe de la doctrine chrétienne, dualiste au sens où elle ne distingue qu'entre le Bien et le Mal, Dieu et le Diable, toutes les choses matérielles y compris le corps étant le mal. Seule l'âme est pure. Les bogomites rejettent l'Ancien Testament et une grande partie des sacrements, dont le mariage. L'Eglise, comme institution est également condamnée, en particulier pour fait de corruption et de richesse excessive. Rien d'étonnant, donc, à ce que les églises orthodoxe et catholique aient vivement combattu cette doctrine dont la popularité risquait de leur faire gravement concurrence. On a longtemps désigné le bogomilisme comme étant à l'origine du catharisme en France. Mais les historiens modernes ne retiennent plus cette filiation, même s'il existe plusieurs similitudes.

°°°

- (Ravaillac) entendit en pleine chaire les prêtres et les moines traiter ce roi (Henri IV) de bâtard et de bougre qui traînait derrière lui des bandes de larrons incestueux, de faussaires et d'athées... (J. et J. Tharaud, La tragédie de Ravaillac)    

- Il a l'air d'un bandit et d'un pauvre bougre. Je lui donne vingt sous. (J. Renard, Journal)

- Pauvre cher bougre, j'ai bien envie de t'embrasser. (G. Flaubert, correspondance)

- Il s'était montré assez bon bougre pendant ces quelques jours passés côte à côte. (M. Yourcenar, Le coup de grâce)

- Les rois sont de pauvres bougres qui n'ont pas le loisir d'être honnête homme. (J. Anouilh, Becket ou l'Honneur de Dieu)

- Je suis parfois maladroit. Blessant, bourru, bête même. Empoté et désespérant. Mais je ne suis pas un mauvais bougre. J'ai la gentillesse ébouriffée des abeilles, mais je pique parfois sans m'en rendre compte la main qui approche, parce que je crois par habitude qu'elle va m'écraser. J'aimerais que vous le sachiez. (J.B Andrea, Cent millions d'années et un jour)

- La prochaine fois qu'il t'arrivera de rentrer plus tard que minuit, je te refourrerai à Saint-Louis; tu y finiras tes vacances !... Bougre de polisson :...Chenapan ! D'abord, d'où viens-tu ? (G. Courteline, Théodore cherche des allumettes)

- Bougre d'ivrogne ! vous le (le mort) mettez la tête en bas ! (E. Zola, Pot-Bouille)

- "Le marquis de Saint-Loup-en-Bray ! Ah ! bougre !" s'était-il écrié, usant du juron qui était chez lui la marque la plus forte de la déférence sociale. (M. Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs)

°°°

En illustration du bougre, vu comme synonyme du débauché (et de bien d'autres qualificatifs), on pourra se reporter à un roman (très) érotique du XVIIIème siècle, le bien nommé : (Histoire de) Dom Bougre, Portier des Chartreux (1741), Comme le lieu de l'intrigue y porte le lecteur, cet ouvrage fustige en creux les mœurs dissolues du clergé séculier ou régulier; le récit est attribué à Jean-Charles Gervaise de Latouche, mais ce point est discuté. On devrait aussi à cet avocat au Parlement de Paris plusieurs autres autres ouvrages licencieux. L'édition de 1778 est accompagnée de 18 figures du récit très évocatrices.

(°) Image de couverture de l'édition de 1993, Actes Sud, collection Babel (indisponible, sauf achat d'occasion)