Mots-clefs : Premier ministre - Président - Vème République - constitution - Etat - pouvoir - cohabitation - élections - dyarchie - hyperprésidence - Jupiter.
"L'enfer de Matignon" ?
Rabaissé, humilié permanent, régulièrement court-circuité par au-dessus et par en-dessous, ravalé au rang de collaborateur sinon de serviteur, réputé fusible du chef suprême, les mains dans le cambouis car il agit alors qu'il lui est recommandé de ne pas penser : de qui cet état tout à la fois misérable et envié est-il le nom ? Mais du Premier ministre sous la Vème République, n'est-ce pas ! Premier ou Première, d'ailleurs, c'est du pareil au même. Car s'il est censé assurer la conduite du gouvernement, rôle apparemment éminent pour faire bouger le pays, ce second apparaît comme un rouage de troisième ordre. Premier à savoir qu'il arrive, dernier à savoir qu'il s'en va, malheur à celui qui voudrait faire de l'ombre au khalife. Si l'aune de sa popularité devient supérieure à celle du chef de l'Etat, alors sa tête ne tient qu'à un fil, tant il est plus facile de changer de Premier ministre que de changer l'humeur du peuple. "L'enfer de Matignon", c'est ça, on vous dit ! (titre d'un livre de Raphaëlle Bacqué paru en 2008).
Bof...Si servir le monarque républicain pour ne pas dire Jupiter n'est pas une sinécure, la place ne manque pas de candidats pour autant. Car le poste sert, espère-t-on, de marchepied vers la présidence. Il y a les politiciens connus, blanchis sous le harnois, et aussi ceux qui ne pensaient pas accéder à la fonction et qui, surprise du chef c'est le cas de le dire, sont nommés bel et bien. Tous (et toutes) se voient alors un destin supérieur. "Faites-moi nommer Premier ministre, et vous verrez comme je ferai mon chemin." dit un personnage de Musset dans "Il ne faut jurer de rien". La fonction permet de se faire ou d'entretenir un réseau, de partisans, d'affiliés, voire d'obligés. A noter l'échange entre un solliciteur et Winston Churchill : "Monsieur le Premier Ministre, vous ai-je déjà parlé de mon neveu? - Non, jamais, et je vous en suis très reconnaissant." Certes, on est en Grande-Bretagne, mais ni le piston, ni la reconnaissance "éternelle" de ceux qui pensent pouvoir en bénéficier n'ont de frontière.
Et puis, il y a le cas redouté et redoutable de la cohabitation entre un Premier ministre et le Président, lorsqu'ils émanent de camps politiques opposés qui les amènent pourtant à composer pour exercer le pouvoir. Diable, voilà la hiérarchie putativement chamboulée ! On trouve trois exemples de cette situation en France sous la Vème République : celle de 1986-1988 avec Mitterrand-Chirac, celle de 1993-1995 avec Mtterrand-Balladur, et enfin celle qui couvre la pérode 1997-2002 avec Chirac-Jospin. La Constitution de 1958 est ambigüe (volontairement ? Pour laisser de la souplesse en fonction des hommes et des contextes ?) quant à la répartion des pouvoirs en ce cas entre les deux détenteurs de l'Exécutif. Nous renvoyons le lecteur à la littérature politique pour s'informer du pourquoi et du comment de ces situations, En tout cas, ni la tradition, ni la pratique, de la cohabitation dure à la cohabitation consentuelle n'éclairent à l'avance le chemin de celle qui s'annonce en cette rentrée 2024.
Voltaire a dit : "Tel brille au second rang qui s'éclipse au premier." Et si, cette fois, c'était à tour de rôle. Ou mieux, si c'était ensemble à la tête de l'Etat qu'on voudrait faire briller le pays !
Daniel Confland
Deux sources sur la cohabitation :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cohabitation_en_France
https://www.vie-publique.fr/dossier/37993-la-cohabitation-dans-la-vie-politique-francaise
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Les protagonistes de la première cohabitation (1986-1988) :
François Mitterrand, en 1984, photo : SPC 5 James Cavalier,US Military, Wikipédia CC.
Jacques Chirac dans les années 80, photo PIMG jpg, Wikipédia CC.
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A voir ou revoir sur le blog :
- 15 citations sur l'opportunisme